COURRIERS A LOEIZA

L' Offensive de Champagne à la Main de Massiges de septembre 1915 à décembre 1915

De l'ensemble du courrier adressé par Louis Henrio (Loeiz Herrieu, en breton), sergent-fourrier dans une compagnie du 88e Régiment d'Infanterie Territoriale, à son épouse lors de son séjour à Massiges, 62 cartes ou lettres ont été retrouvées. Nous les proposons ici, traduites du breton par Daniel Carré, spécialiste de l'oeuvre de ce publiciste et écrivain.

Louis Henrio (Loeiz Herrio) en 1935

Son portrait est en ligne dans LA MEMOIRE DE LA MAIN ; AUTRES REGIMENTS.

«Fait rare, sans être semble-t-il unique, le soldat Henrio ne fera jamais valoir son droit à permission de toute la durée de la guerre. Une décision personnelle, un choix délibéré qu'il taira dans son témoignage public. Il ne s'en expliquera qu'à son épouse par le biais du courrier échangé : il aurait trop de peine à les quitter une seconde fois et la douleur qui en résulterait affaiblirait, voire briserait, la résistance de chacun au point de tout faire sombrer dans le désespoir ; se déshabituer du front serait augmenter les risques au retour; quitter la guerre serait se soustraire à l'oeuvre de rédemption désirée par Dieu; accepter un intermède sans que le devoir (finir la guerre et la gagner) ne soit accompli serait retarder cet accomplissement, accepter un compromis... Il est clair que chercher un fondement "patriotique" à cette attitude serait faire totalement fausse route.

Son épouse finira, contrainte et forcée, par accepter la décision de son mari de ne pas se revoir avant que ne se taisent les armes. Une décision qu'elle ne comprend pas et qui la place dans une situation très inconfortable puisqu'elle génère le doute sur leurs sentiments réciproques et nourrit les ragots de l'entourage» (Daniel Carré)


21 septembre 1915


Ma Vedig à moi,


Toujours rien de neuf. Hier au soir j’ai vu plus de 200 soldats d’active s’approcher de la Sainte Table avant de remonter occuper les tranchées.

Ultime sacrement pour nombre d’entre eux, hélas !… Tableau admirable et poignant à la fois…

En tant que sergent-fourrier, j’ai davantage de travail, mais j’encours les mêmes dangers. Pourtant, s’il advenait que nous devions nous lancer à la poursuite des Allemands, moi je resterais près du commandant comme agent de liaison de notre capitaine.

Tu peux continuer à percevoir l’allocation ; plus tard, on ne nous oubliera pas quand il s ’agira de payer les impôts .

Hier, je suis allé reconnaître la position que nous irons occuper ces jours-ci. On y jouit d’une vue superbe et nous y serons moins exposés au danger. Rien d’autre.

À toi, à mes parents, aux enfants, bien affectueusement. Ces jours-ci, j’expédierai un paquet de tabac à la maison (1).

L. H.


23 septembre 1915 (au flanc de la colline)


Ma Vedig chérie,


Sommes venus nous installer ici hier. Depuis, toute la journée et toute la nuit durant, notre artillerie a tiré sans interruption, [….........] les oreilles. Les salves sont si rapprochées qu’on croirait entendre le mugissement de la mer… Ce matin, c’est le bouquet : ça y va à la manœuvre… Nous, nous sommes bien ici, enterrés dans le sol, loin de la première ligne. Lorsque l’active se portera en avant, nous avancerons, nous aussi. Ne t’étonne donc pas si mes lettres sont plus espacées à partir de maintenant. Bien reçu ta petite lettre et celle datée du 18 (...)

Ici non plus il ne pleut pas. Tant mieux ! S’il pleuvait, la situation deviendrait bien désagréable. Ai expédié hier chez Mellac un paquet dans lequel tu trouveras des paquets de tabac (2 gros, un petit) et une vareuse de drap.

Dans le tiroir de gauche de mon bureau, tu devrais trouver mon testament ; ceci pour le cas où il m’arriverait de perdre la vie dans cette affaire-ci. Je l’ai rédigé en cinq ou six parties. N’importe comment, il ne devrait pas y avoir d’histoires puisque nous avons des enfants. Si je venais à mourir, tu aurais le droit de percevoir une pension ; une pension de sous-officier.

Pendant que je t’écrivais cette lettre, trois grosses marmites (obus de gros calibre) sont tombées sur le village où nous cantonnions les jours derniers.
Vu Job hier. Il a mal à l’œil. Ça tonne. Ce soir nous nous portons un peu en avant.

Au revoir, ma Vedig chérie. Au revoir Hervé. Au revoir Néné. Au revoir, mon père et ma mère. Je vous aime.
Loeiz.


26 septembre 1915


Suis en bonne santé. Tout marche à merveille. Affectueusement.
Loeiz.



27 septembre 1915



En plein enfer de feu et de mitraille. L’ennemi recule malgré tous ses efforts. Succès partout.

Suis bien portant et me console des privations et des incommodités de notre situation en songeant que l’heure de la délivrance approche.

Cœur à cœur avec vous tous. Que Dieu nous garde.



28 septembre 1915


Bonne santé. Tout va bien.


30 septembre 1915


Ma Vedig chérie.


Le succès nous sourit toujours, et toujours il pleut de la ferraille nuit et jour. - La pluie s’est arrêtée, heureusement, mais le temps a fraîchi. - Notre séjour ici ne durera plus très longtemps.

Dans les jours prochains, il va encore y avoir un assaut contre les Allemands qui se retrouveront alors en plein champ, à découvert, forcés de déguerpir plus vite qu’ils ne voudraient.

De tout cœur. Un baiser à chacun. Redoublez de ferveur dans vos prières ; c’est le moment.

Loeiz.


1er octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Sommes toujours au même endroit. La pluie a tout retardé. L’offensive a pourtant repris.

M. Le Gal a été blessé à une main par un éclat de marmite. – On l’a évacué vers l’arrière. – Rien de nouveau par ailleurs. Les hommes travaillent à ravitailler en armes et en munitions les soldats qui se battent à l’avant. On dort peu à cause du vacarme. Dieu nous garde.

Plein de baisers à vous, mes cinq.

Ton Loeiz.


2 octobre 1915


Tout va bien. - Santé excellente. - Le temps s’est mis au beau et au froid. Il gèle, le matin.
Les parties de la croix doivent être pleines, les parties blanches évidées ; c’est-à-dire les quatre quartiers centraux.

Avec vous par le cœur.

Loeiz.


3 octobre 1915


Bonne santé continue. Joseph me touche ; ne l’ai pas encore vu. Bataille continue.

Envoie-moi tous les 10 jours environ une livre de beurre ; bien emballer (2).

Sommes obligés de vivre au petit bonheur dans des pays dévastés.

Embrasse pour moi ceux que nous aimons. Reçois tes lettres.
Loeiz.


M’expédier aussi camphre en poudre et produits pour désinfecter l’eau de boisson. Voir Corlay pour cela : il existe des comprimés de permanganate et d’un autre produit chimique clarifiant dont j’ai fait usage au début de la campagne (3).


5 octobre 1915


Rien de nouveau. Santé excellente. Expédier par le dépôt colis contenant : gilet de chasse, galoches, 2 caleçons molleton, laine tricotée ou rasurel. (Prendre ce qu’il y a de moins lourd et de plus chaud.)

Lettre suit.

Bons baisers.

Loeiz.


5 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Je suis indemne, Dieu merci ! J’ai bien reçu ton petit colis qui m’a fait plaisir, car maintenant je suis forcé de me débrouiller tout seul pour survivre. La cuisine se trouve à un kilomètre d’où nous sommes, et la popote ne fonctionne plus puisque tous les sous-officiers sont dispersés.

Je me fais ma tambouille tout seul, et je t’assure que je ne suis pas le plus à plaindre. Il y en a ici qui ne savent rien faire de leurs mains ; ceux-là se trouvent bien dépourvus aujourd’hui !

Cependant, ne m’expédie rien sans que je ne te l'aie demandé ; me retrouver avec encore davantage de choses à traîner, voilà ce que je veux absolument éviter.

J’ai eu des nouvelles de Joseph aujourd’hui : il va bien.

Pour le cidre, il faut remplir un formulaire tout préparé. Prendre à la gare quelques feuilles d’expédition à petite vitesse ; c’est gratuit. Les remplir comme il faut et les apporter en venant à la gare (une feuille par barrique, ou bien par deux ou trois si elles sont à livrer au même client). Reculer la charrette à proximité de la bascule ; une fois la barrique pesée, indiquer le poids sur la feuille. Ensuite, passer au guichet où l’on te remet une décharge. C’est gratuit.

À Hennebont, il y a un sculpteur (4) ; montre-lui le modèle et ta croix celtique à toi, et il comprendra. Il n’est cependant pas nécessaire que ce soit une croix dressée ; on fait aussi des tombes dont la croix est gravée dans la pierre tombale. Vous pourriez encore utiliser la vieille croix dont tu parles. En tout cas, moi je ne tiens pas à que l’on dise que c’est moi qui ai voulu que la tombe soit ainsi. Tu m’as demandé mon avis : je te le donne. Mettez-vous maintenant d’accord tous les quatre et puis faites à votre guise. Cependant, le premier devoir du chrétien me semble être de prier pour le défunt plutôt que de se préoccuper de faire élever un beau monument pour abriter son corps.

Ici où nous sommes, on n'élève pas de tombes…

Ne m’expédie pas les bas tant que je ne te les ai pas demandés.

Par ici, on se bat toujours. Dis-moi si tu as bien trouvé mon testament, celui qui était rangé dans le tiroir de mon bureau (5).

Chaque jour, si je peux, je t’expédierai une carte ; mais ne te fais surtout pas de souci si tu restes sans nouvelles un jour, deux jours, trois même. Tes lettres me parviennent. 10 F dans cette lettre : 5 réaux pour toi, 20 pour ma mère afin qu’elle s’achète quelque chose qui lui fera du bien.

Au revoir, mes cinq amours. Cent baisers à chacun ; à toi, ma Vedig, mille de plus.

Ton Loeiz.



7 octobre 1915


Bons baisers. Santé excellente. Tout marche. Ai écrit plusieurs fois à Louis, mais, comme tu le sais, la correspondance est retenue.
Ton Loeiz.


Je suis en vie et bien portant. Le temps s’est amélioré. Près de vous, mes cinq, par la pensée.
Loeiz.


8 octobre 1915


Tout va bien. Baisers à tous.
Loeiz.

8 octobre 1915


Ma Vedig chérie.

Dans cette lettre, tu trouveras un mandat-lettre de 35 F pour vous aider à vous en sortir. J’ai touché 102 F le mois dernier. J’en ai gardé une partie, de quoi m’acheter quelques affaires (une pèlerine, un réchaud, etc.) que j’ai commandées à St-Etienne (6).

Toujours dans ma cave. Je t’écris ces quelques lignes pendant que quatre patates cuisent sur le feu. Tout à l’heure, je les mangerai avec un bifteck et mon quart de rouge. Tu vois que je ne meurs pas de faim.

Je suis obligé de faire mon feu à l’intérieur afin que l’ennemi ne repère pas la fumée. Le bombardement est toujours aussi intense. Nous avons eu un tué (7) dans notre compagnie aujourd’hui ; le premier depuis que nous sommes ici (8).

Après dîner, j’irai faire un somme, et, vers 9 heures, nous irons prendre le ravitaillement pour la compagnie, à environ un kilomètre d’ici. Retour vers minuit, au plus tard. On peut alors dormir un peu, dans l’intervalle entre les marmites qui viennent tomber à proximité. Notre cave est solide. Trois obus sont tombés dessus sans parvenir à la détruire…

Ce matin, M. Le Moigno a pu célébrer la messe (chose impossible depuis quinze jours). Nous nous sommes réfugiés dans un trou recouvert de plaques de métal, de bois et de terre. Il y avait place pour 3 ou 4 dans la petite chapelle. Nous avons rendu grâce à Dieu de nous avoir protégés.

Reçu Le Clocher Breton ; ça m’a fait plaisir d’y découvrir des articles comme je n'en ai pas trouvé d'équivalent depuis un an.

Le succès nous sourit toujours. Les nôtres ont presque atteint la ligne de chemin de fer grâce à laquelle les Allemands ravitaillaient leurs soldats qui se trouvaient ici ; ils ne pourront plus s'en servir. Dans plusieurs endroits nous avons même dépassé les secondes lignes allemandes. Bientôt ils devront déguerpir.

Nous avons touché les nouveaux casques, ceux dont sont maintenant équipés les jeunes pour une meilleure protection contre les éclats d'obus (9).

Si tu me voyais avec le mien sur la tête !...

Je n'ai pas vu Job. Comme c'est de nuit qu'il vient par ici pour approvisionner l'active en obus, il est impossible que nous nous rencontrions, lui et moi. Dans la journée, on ne peut pas se déplacer. Rien de neuf par ailleurs.

Comment se présentent les cultures (les fourrages) ? Et les abeilles ? Et Herpe ? Comment va-t-il ? Dis-lui que je lui souhaite de bien se rétablir afin que nous puissions trinquer ensemble l'an prochain. Le bonjour à Marie.

Cent baisers à vous tous.

Loeiz.



Dimanche 10 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Ce matin nous avons encore eu le bonheur d’entendre la messe sous terre. La santé est bonne, même si beaucoup d’entre nous ont la diarrhée ou bien sont enrhumés ; il faut dire qu'il fait frais maintenant, la nuit. Moi, je me porte toujours bien.

Dans trois ou quatre jours, nous allons redescendre à l’arrière, à Courtémont, là où nous cantonnions avant d’aller occuper la position à flanc de coteau. Je ne me réjouis pas du tout de retourner là-bas, car l’endroit est sous le feu de l’artillerie et il n’y a nulle part où se protéger des obus.

Ici, au moins, nous sommes bien à l’abri. Pourtant, ce repos fera du bien aux malades, et nous, nous serons également mieux nourris. Toujours pas vu Joseph.

Cet après-midi, nous avons eu droit à un beau spectacle : 24 avions sont passés au-dessus de nos têtes ; ils se dirigeaient vers les lignes des Allemands à qui ils ne voulaient certainement pas que du bien… On aurait dit un essaim de moustiques…

Mes affectueuses pensées à ma mère et à mon père. À vous, mes chers trois. Très affectueusement.

Ton Loeiz.



11 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Voici un croquis que j’ai fait ce matin, profitant d’un moment où les artilleurs allemands se reposaient. Tu verras, au premier plan, l’entrée du four : c’est là que je dors. J’ai aménagé mon bureau à gauche, dans le trou sombre à moitié obstrué.

Bien reçu ton colis. Ne pas mettre de chocolat dans le même paquet, avec le beurre ou d’autres choses humides : c’était de la bouillie. N’importe comment, je ne veux pas que tu m’expédies autre chose que ce que je te demande. Tu ne comprends donc pas qu’il faut porter tout ça, alors que j’ai déjà bien du mal à trimballer mes effets.

Le tas de pierres, de bois et de terre au-dessus de ma cave est tout ce qui reste de la maison. Elle a été complètement rasée par les obus. La cheminée restée debout, à droite, a servi de poste d’observation à un soldat chargé de guider le tir des artilleurs au plus fort de la canonnade. Le trou entre les deux fenêtres de droite de l’église a été fait par un obus.

En bas, la moitié d’un lit de fer qui a brûlé. Tous les arbres sont déchiquetés, comme ceux qui sont sur cette carte. À gauche, juste au-dessus du petit orme, un poteau téléphonique, haché lui aussi. Quelle tristesse que tout cela !

De cœur avec toi.

L. H.


13 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Reçu ton colis contenant le camphre ; il était dans un bien triste état. Tu me dis qu’il fallait absolument que tu mettes dans le paquet de quoi faire un kilo. Tu n’y étais absolument pas forcée. On paie un sou pour 50 grammes ; aussi, si ton paquet fait 150 g, il suffisait de l’affranchir avec 3 timbres à un sou. Si ça revient à plus de 12 sous, il vaut mieux expédier par colis postal : 3 kilos pour 12 sous. Ces paquets nous arrivent tout aussi rapidement que les autres.

Mieux faire les colis : plus serrés, beaucoup de papier. Envelopper chaque chose à part dans du papier ; les petits paquets sont alors plus faciles à empaqueter ensemble. Si quelque chose se détériore en route, au moins cela n’abîme pas le reste.

(...)Oui, M. Le Gal a eu la main gauche bien abîmée, mais elle est en bonne voie de guérison. Hier encore, nous avons eu un tué et deux blessés à la compagnie.

Reçu L’Atelier ; j’y ai lu ton beau petit poème. Fais ton possible pour vendre le maximum de cidre à Lorient. Voir du côté Lévêque ; peut-être t’en achèteront-ils.

Quant à cette poire que ma mère avait si bien mise de côté à mon intention, je n’en ai pas vu la couleur ! Il n’y avait dans le colis qu’une infâme bouillie noire dont le jus avait détrempé la boite de l’alcool camphré.

Hier, je suis allé à Ste-Ménéhould faire des achats pour la compagnie. J’ai été bien content de retrouver une ville intacte, de revoir des civils.

La veille au soir, j’ai dû aller chercher la charrette de la compagnie restée à Neuville-au-Pont ; j’ai dormi sous une charrette, en plein champ. Cependant, comme j’étais bien enveloppé dans ma couverture je n’ai pas eu froid.

Sommes toujours au même endroit.

Les jours derniers, je t’ai expédié une carte avec le croquis de l’église d’ici (Massiges); je suis en train d’en faire un autre.

Demain soir, nous descendons à nouveau à Courtémont pour 6 jours. Ce n’est pas trop tôt, car il y a beaucoup de malades ; au moins une cinquantaine.

Au revoir, mon amour. Cent baisers à toi, à nos deux lascars, à ma mère et à mon père.

Ton Loeiz.


14 octobre 1915


Suis à Courtémont. La santé est bonne ; le temps se maintient au beau. La compagnie arrivera demain matin entre deux et trois heures. Rien de nouveau par ailleurs.

De cœur avec vous.

Loeiz.


14 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Sommes arrivés sains et saufs, dans un endroit tranquille (au flanc d’une colline comme celle de Bot-Choch, exposé au sud). Sommes logés dans des abris creusés dans la colline ; la paille est fraîche et épaisse. Voilà bien longtemps que nous n’avions été aussi bien.

Demain, si mon travail m’en laisse le loisir, je t’écrirai une lettre.

Au revoir. Courage ! Un baiser à chacun d’entre vous, mes cinq. Cent pour toi par-dessus le marché.

Loeiz.


18 octobre 1915


Suis en bonne santé. L’hiver vient. Tout va bien. Cent baisers.

Ton Loeiz.




Dimanche 18 octobre 1915. Réponse aux lettres du 8, 9, 12 et 14.


Ma Vedig chérie,


J’ai lu ton poème, et je te le renvoie avec quelques annotations : - Arrange-toi pour ne pas faire tomber la rime sur deux participes passés ; c’est un peu trop facile. - Hun ne s’écrit avec n que devant une voyelle (a e i o u) et n t d h. - Arriù é gouil//ré treménet. On ne peut pas comme cela élider les mots gênants : er ré. - La coupure après/ha/n’est pas bien bienvenue. - Le thème du poème lui-même.

C’est de Courtémont que j’écris. Voilà la troisième journée que nous passons ici ; trois autres encore, et nous reprendrons le chemin du vacarme et de la mitraille… 6 journées là-bas avant de revenir ici pour les 6 suivantes ; et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on ait réussi à finir de les déloger pour de bon de leurs tanières.

Oui, tout est cher, mais, ici, tout est hors de prix : 22F le quintal de pommes de terre !

(...)Peut-être l’oie pondra-t-elle au printemps prochain. Je ne me souviens pas que tu m’aies dit si la blanche était un jars ou pas ? Je vais essayer de trouver un jars de la même race, car j’ai eu l’occasion, depuis le début de la guerre, de voir des troupeaux entiers de ces oies-là. Elles se vendaient très cher.

À quelle date as-tu reçu ma lettre ? Celle qui contenait un mandat ? Hier, j’ai mis en route un paquet à déposer chez Le Bayon. Tous les papiers, les lettres que je t’envoie en faire un paquet, ficelé, et les mettre de côté.

Les pies que tu as entendu jacasser te disaient tout simplement que j’étais sorti de ma cave et que je m’étais éloigné des obus (10)

Ne m’expédie rien que je ne t'ai expressément demandé. J’aurais souhaité te voir le faire, comme je te le demandais, sans devoir en venir à te l'écrire aussi sèchement pour que tu le comprennes enfin.

Nous, les sous-officiers, nous avons toujours pu, jusqu’à ces derniers temps, faire table commune. De la compagnie, nous touchons du café, du sucre, du sel, du bois, de la viande, du savon, des légumes, un quart de vin – même deux, bien souvent. Par ailleurs, chacun verse quotidiennement 15 sous ou 4 réaux à la popote ; de quoi acheter du fromage, de la confiture, du vin, des gâteaux, etc. Autrement dit, nous mangeons à notre faim trois fois par jour. À la maison, je n’en avais pas davantage.

Si je demande du beurre, c’est tout simplement parce qu’on n’en trouve pas de frais par ici. Tant que j’ai dû vivre dans ma cave, la popote n’a pas marché, c’est vrai ; mais je n’ai pas souffert de la faim. J’ai encore toutes tes conserves dans mon sac. Qu’est-ce que je vais en faire ? Je ne vais quand même pas, une fois que nous nous sommes levés de table, inviter un collègue à partager avec moi les provisions que tu m’expédierais !

Pour les hommes, c’est différent : on ne peut pas dire qu’ils mangent toujours bien ; et cela, même si le ravitaillement est généralement suffisant. Et puis, je ne tiens pas non plus à mettre ce que je reçois sur la table commune, car la plupart de mes commensaux me sont trop antipathiques pour aller jusque là.

Ces colis seraient, pour toi, une source de dépenses inutiles ; ce n’est pas le moment de gaspiller notre bien.

Dans mon paquet, du tabac pour mon père (4 paquets). Guillouzo est arrivé dans le coin, avec le 62e. Auguste Le Gall m’écrit que l’abbé Questel est porté disparu. M. Adol, l’avocat, serait également tué. Le 62e et le 116e nous touchent maintenant.

Faire un paquet avec mes chaussons fourrés, ceux que j’avais expédiés à la maison ; le mettre chez Le Bayon. Le premier gars à aller en permission, et que je connaîtrai, passera le prendre. Les chaussons hauts. Leur mettre une semelle de cuir. Ils me rendront bien service la nuit, quand il fera froid. Il gèle par ici ces temps-ci. Quand tu en auras l’occasion, ajouter une ou deux pommes – des fil – dans les colis que tu m’envoies ; ceci pour faire bon poids, mais ne m’en envoie pas tout exprès ; sauf si nous étions assurés de rester longtemps au même endroit, comme dans l’Aisne.

Au revoir, ma Vedig chérie ; au revoir à demain. Je t’expédierai une carte (je le fais presque chaque jour). À chacun d’entre vous, cinq cents baisers. À toi, cent autres.

Loeiz.


19 octobre 1915


Ma Vedig chérie.


J’ai rencontré aujourd’hui M. Thubé, le secrétaire de l’évêque ; nous avons parlé ; il est aumônier d’une armée du secteur. Parlé également à Guillouzo qui a été versé dans le 62e comme bien des territoriaux parmi ceux qui s’étaient fait affecter à l’arrière. C’est le lot de tous ceux qui ont cherché à s’embusquer à l’arrière ; ils se retrouvent maintenant avec les jeunes de l’active, forcés de prendre part aux attaques contre les Allemands. Comme tu vois, j’ai bien fait de rester là où j’étais.

Demain, nous retournons là où nous étions au moment du déclenchement de l’attaque. Nous n'irons cependant pas dans le petit bourg dont je t’ai expédié un croquis de l’église. Notre position n’est pas dangereuse. Ce sont surtout les hommes qui sont à plaindre, les pauvres : ils devront travailler de nuit à ensevelir les morts ; ceci sous les bombardements.

Le bruit court que nous allons bientôt partir au repos, mais nous nous efforçons de ne pas trop y croire ; on nous l’a promis si souvent sans que nous en ayons vu la couleur…

Je constate avec plaisir que tu me remplaces avec honneur : tu vends, tu écris. Tant mieux ! La séparation te paraîtra moins longue ; cela te permettra aussi de mettre un peu d’argent de côté.

Tu me dis que tu vas me mettre un molleton dans ton colis ! Je ne t’ai jamais demandé cela : relis ma lettre…

Pendant notre séjour aux tranchées, je vais fabriquer la croix celtique dans une fusée d’obus.

Amoureusement, mon amour.
Papa te fait un gros câlin, petit Hervé. Un autre à toi, petit Néné. Obéissez bien à Maman, à Pépé et à Mémé, et Jésus sera content ; Papa aussi.
L. H.



Dimanche 24 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


Je n’ai pas trouvé tout ce que je voulais à St-Etienne. Je cherchais une pèlerine très légère ; ils n’en avaient pas.

Sur mon étagère, derrière mon bureau, en bas, à gauche, se trouve le catalogue d’une maison parisienne qui fait des bâches, des vêtements d’hiver, des sacs ; je crois bien y avoir également vu mentionner des pèlerines légères. Chercher et m’expédier au plus vite la page sur laquelle figurent le poids, le prix de l’article ainsi que l’adresse de cette maison.

En même temps, quand tu iras à Lorient, demander chez Corbierre où ailleurs s’ils n’auraient pas ce genre de pèlerines (longueur : 1,20 m) en drap noir léger (une livre environ). S’ils en ont de plus légères, tant mieux. Te renseigner sur les prix et me les donner. Pèlerines avec capuchon.

Je t’ai expédié une fusée d’obus. Comme certaines d’entre elles peuvent présenter du danger, la ranger de préférence dans mon armoire-bibliothèque, dans le fond, en bas, hors de portée des enfants. Ou bien encore dans le tiroir de notre armoire à nous. Certaines de ces fusées peuvent éclater en tombant par terre si la charge de fulminate qu’elles contiennent est intacte (11).

 

Tu peux utiliser l’alambic des Goulian si tu as de quoi distiller actuellement. Ne distiller cependant que du cidre qui fera 10 (ou 1000) au densimètre ; à mesurer bien sûr quand le densimètre touche le fond de l’éprouvette. Sinon tu auras de la perte sur une barrique.

Fine m’a écrit pour me demander si j’avais des informations concernant la mort de M. Questel. Je ne sais rien ; voilà ce que je vais lui répondre. Nous appartenons à des armées différentes ; comment pourrions-nous voir ce qui se passe dans le secteur de l’autre armée ? Nous n’avons même pas le droit de sortir de notre secteur.

On ne nous enverra pas en Serbie : il y a trop de malades. Des 250 que nous étions voici deux mois, nous ne sommes plus 200 ! ! Tahure n’est pas très éloigné de l’endroit où nous sommes, mais ce n’est plus dans notre secteur. Le bruit de la bataille arrive jusqu’ici, mais c’est tout. Ici, chacun occupe son petit secteur, et interdiction d’en sortir. Nous sommes à environ 5 km de là-bas.

Ce matin, je suis allé à la messe ; sous terre, une fois de plus. Une fois de plus, nous n’étions pas nombreux. Les Bretons deviennent indifférents quand ils sont loin de chez eux ; il est vrai, aussi, qu’ils ignorent quasiment tout de leur religion et qu’ils prêtent facilement l’oreille aux propos antireligieux du premier vaurien qui passe.

Au revoir, ma Vedig à moi. Soyons courageux et ayons confiance en la bonté de Dieu comme en l’intercession des saints de chez nous. Un gros câlin à chacun d’entre vous, mes cinq. Loeiz.
Demande donc à mon père si le tabac du front est à son goût et s’il en a en suffisance ; je peux, en effet, lui en procurer autant qu’il en voudra.


27 octobre 1915


Sommes arrivés à Courtémont. Il fait froid ! Pas reçu le beurre que je t’avais demandé de m’expédier tous les 10 jours d’abord, tous les 15 jours par la suite. J’ai fini celui que j’avais. Je vais bien.

De tout cœur.

Loeiz.


28 octobre 1915


Ma Vedig à moi,


Santé toujours excellente. Temps froid continue. Ai nouvelles de Languidic par permissionnaire, Thomas. Lettre ces jours-ci.

Baisers à tous.

Loeiz.


28 octobre 1915


Ma Vedig chérie,


C’est d’un endroit bien agréable que je t’écris. Nous sommes toujours au flanc de notre coteau où nous nous plaisons bien. Il fait froid ; il gèle, la nuit ; mais nos abris sont bien construits et il y fait bon. Nous ne nous levons qu’avec le soleil…

Je connaissais déjà les nouvelles que tu me donnes à propos de la mort de Polignac, de Questel, etc. D’autres encore manqueront à l’appel ; oui, bien d’autres.

J’ai terminé, aujourd’hui, une croix celtique que je te destine. Dans chacun des quatre bras, j’ai mis des éclats de métal provenant de la cloche de Massiges brisée par un obus. Je t’ai expédié le croquis de l’église de ce bourg. Cette cloche avait été fondue et baptisée en 1870 ! ! Née pendant la guerre, détruite pendant la guerre ! Personne, c’est certain, n’aura une croix comme celle-là. J’ai également gardé un morceau de cette cloche bénie ; je tâcherai de te le faire passer dans un paquet.

(Le morceau de la cloche de Massiges a été conservé par la famille de Loeiz)

Reçu une carte de Louis ; rien de Job. Il y a peu de chance que nous nous rencontrions, André et moi, étant donné que ce n'est pas moi qui suis ordinairement chargé d'aller faire les achats. L'autre fois, si j'y étais allé, c'était simplement pour faire un tour, me changer les idées ; moi, ma place est toujours dans un abri, occupé à ma paperasse. Je lui ai écrit 4 ou 5 fois ; je ne serais pas étonné que des cartes se soient perdues en chemin.

Je crois que j’aurai assez de beurre si tu m’en envoies comme l’autre fois : tous les quinze jours au lieu de tous les 10 jours (...) La prochaine fois que nous redescendrons au repos, M. Le Moigno partira en permission. Peut-être ira-t-il vous voir, vous dire que vous avez tort de vous tracasser pour moi.

Je prends la vie comme elle vient, et je me considère encore comme privilégié en dépit des misères qu’il me faut parfois endurer. Aucun doute : c’est moi qui suis le plus heureux de toute la compagnie. À cause de mes fonctions, tout d’abord ; et puis aussi à cause de mon tempérament qui s’adapte facilement à tout pour un peu que j’ai l’âme en paix.

Encore un hiver à tenir ; cette vie-ci prendra certainement fin l’an prochain. Je crois fermement que Dieu me gardera à toi et à ceux que j’aime.

Au revoir, ma Vedig chérie. Demain, je t’expédierai une carte. Mes amitiés à Marie. À vous, mes chers cinq, toute mon affection.
Ton Loeiz.


30 octobre 1915


Ma Vedig chérie,

Hier, j’ai mis en route un paquet que tu trouveras chez Le Bayon : 4 paquets de tabac, une croix celtique que j’ai fabriquée, un morceau de la cloche de Massiges, deux numéros de la Revue Hebdomadaire que je reçois et dans lesquels tu trouveras des photos et des cartes du secteur que nous tenons. Rien de neuf par ailleurs (...)

Il fait froid, ma Vedig ! Moi, ça va ; je n’en souffre pas trop, vêtu comme je suis : 2 couvertures, une flanelle qui fait 5 ou 6 fois le tour de ma personne ! …

De tout cœur avec toi.

L. H.



1er novembre 1915



Reçu tes lettres. Trop de travail pour pouvoir t’écrire. Aujourd’hui nous reprenons le chemin de la gueule du loup.

Le Bayon, l’imprimeur, est blessé ; on ne pense pas que ce soit sérieux.

Tu persistes à prendre plaisir à m’expédier des choses que je ne te demande pas… Lis donc mes lettres depuis le 1er octobre : regarde ce que je te dis au sujet de ces colis. Sans doute serai-je contraint de refuser à nouveau les paquets pour être enfin tranquille !!...

Au revoir, à la prochaine. Cent baisers à chacun d’entre vous. Je vais communier pour nos défunts.

Loeiz.


2 novembre 1915

 

En toute hâte un petit mot. Malgré la pluie et la boue (oh ! cette boue !), tout va bien. Reçu hier colis avec galoches, gilet et caleçon. Pas reçu le beurre encore. Pour ce dernier, il y aurait intérêt à l’envoyer par poste, sans cela il ne sera pas mangeable à l’arrivée. Je t’écrirai ce soir une lettre répondant à toutes celles reçues depuis quelques jours. Vu Joseph hier. Se porte bien.

À toi et aux nôtres. Par l’esprit et le cœur.

Loeiz Herrieu.


3 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Non, je n’ai rien trouvé de bon dans le catalogue que tu m’as expédié. J’ai écrit à Paris, dans une autre maison pour leur demander de me faire parvenir un échantillon de tissu afin que je me fasse une meilleure idée. Peut-être trouveras-tu quelque chose à Lorient. Je verrai en fonction du prix. Ce que je cherche, c’est une pèlerine noire, caoutchoutée d’un côté, un peu brillante et dont on verra le drap de l’autre côté, très très mince. Elle ne pèse certainement pas une livre.

Papa est content d’apprendre que Néné travaille ; ainsi il tient déjà un peu, dans la mesure de ses forces, la place de son père. Papa n’oubliera pas son fils aîné… C’est avec plaisir que je continuerai donc à expédier du tabac à mon père à chaque fois que l’occasion s’en présentera ; qu’il fasse tout de même attention à ne pas se rendre malade en fumant tout ce tabac ! !

… Quand nous redescendrons à Courtémont, je te ferai parvenir dans les 100 ou 120F. À chaque fois que je t’envoie de l’argent, achète donc quelque chose pour ma mère ; une chose qui lui fasse plaisir et du bien à la fois.

Cet hiver, quand mon père ira en route (12), propose-lui aussi mon paletot ciré, s’il est à sa taille ; au moins il ne sera pas mouillé. Donne-lui également de quoi couvrir largement ses dépenses. (Mais tout cela, tu le fais probablement déjà).

Si nous allons au repos, ce ne sera sûrement pas à Lorient, mais à 3 ou 4 lieues en arrière d’ici, dans les environs ; ceci pour revenir au front sans trop tarder.

Maintenant, on va retirer de la territoriale les hommes les plus jeunes pour les verser dans l’active de manière à y combler les vides laissés par les morts ; cependant, je ne pense pas que les gradés, même les subalternes, soient tout de suite concernés.

Mon article sur les Bardes a été imprimé sur feuille volante ; on l’avait distribué aux gens, à Hennebont. Cet article avait ensuite été publié par Le Nouvelliste. Il est deux fois grand comme cette feuille une fois dépliée.

Quant à l’eau de vie que tu m’as expédiée, la bouteille s’est cassée dans mon sac ; le contenu a mouillé mes vêtements ainsi qu’un numéro de la Revue que je t’ai expédié. Dans ce numéro, tu trouveras une carte montrant le secteur où nous sommes. En utilisant la loupe que tu trouveras dans mon tiroir, tu pourras voir, dans le détail, les endroits où nous vivons. Demande-moi tout ce que tu veux à ce sujet ; je t’expliquerai tout, car j’ai une carte détaillée à ma disposition. Dans le numéro que je viens de recevoir, il y a même des photos de ces endroits.

Chevalier nous avait acheté du cidre l’an dernier. Tu peux livrer Le Mougne, mais précise lui : « Suivant l’usage, nous demandons à nos nouveaux clients de nous payer d’avance la première livraison de cidre qui leur est faite. Dans la suite, le paiement se fait après réception de la marchandise ». Dis-lui encore : « Nous ne pouvons vous envoyer d’échantillon du cidre qui vs sera livré, ce cidre n’étant pas encore fabriqué ».

Pour le beurre à me faire parvenir : tous les quinze jours, 1 livre de beurre, enveloppée dans une feuille de papier imperméable, dans boite en fer ou en papier, bien entourée de journaux, et, sur le tout, fort papier d’emballage. Peser ensemble beurre et emballage ; affranchir à 5 centimes par 50 grammes ; c’est-à-dire 50 centimes pour 500 g. L’emballage pèsera 100 g environ, je pense, ce qui fera 0,60 F de port. Mettre à la poste avec timbres. Cela me parviendra en 3 ou 4 jours. Comme cela, ce sera plus simple pour toi et plus rapide pour moi.

Pas d'eau de vie ! Que veux-tu que j'en fasse ? On en touche tous les jours, ou presque, et je n’en consomme jamais.

Ce sont les chaussons hauts que je t’avais demandés ; je me débrouillerai cependant avec les autres. Ne m’envoie pas les autres. La croix celtique est de la taille de ta croix de mariage.

Les formulaires d’expédition sont totalement gratuits à la gare. Quand tu expédies du cidre, ne pas oublier d’agrafer la déclaration au coin gauche, en haut de la feuille d’expédition. Cet hiver, il va falloir que Guénel apprenne ses lettres : Papa enverra quelque chose à Guénel, un livre avec de belles images, pour récompenser Guénel de sa peine.

Déposer le colis avec le beurre et les pommes chez Bayon, si c’est bien le moment ; je demanderai à l’un de mes hommes de passer le prendre.

Ici, nous sommes dans la colline à gauche, avant d’atteindre le bourg de Mas. dont je t’ai fait un croquis de l’église. Cette colline est indiquée comme ceci sur la carte, tout près de Mas(siges).

Je suis dans le secteur sombre, avec Hirgair, à 6 mètres sous terre ! Les marmites peuvent bien péter tant qu’elles veulent !

Me dire quand tu auras fini de faire le cidre pur jus ; je t’expliquerai alors ce que tu dois faire. Moi, je leur écrivais le jour où je livrais le cidre en gare. Auparavant, je leur avais cependant fait savoir le mois auquel aurait lieu la livraison.

Rien de neuf, par ailleurs. Carte demain ; après-demain, une lettre si je peux.
De cœur avec vous, mes cinq.
Loeiz.


4 novembre 1915


Ça tonne et ça pète comme jamais. Suis cependant sain et sauf.

De cœur et d’esprit avec vous.

Loeiz.


5 novembre 1915


Le temps sec est de retour ; tant mieux. Les combats se sont maintenant atténués, mais nous avons encore eu des pertes : un homme est mort, un autre a perdu une jambe, un autre encore a eu le crâne fracturé…Et dire qu’il n’y a que trois jours seulement que nous sommes ici !…

La santé est toujours bonne. Le beurre n’est toujours pas arrivé. Pourtant, si tu t’en souviens bien je t’avais dit de m’en envoyer une livre tous les 15 jours. Voilà un mois depuis !…

Au revoir, ma Vedig chérie. À vous, mes cinq chéris, toute mon affection.

Ton Loeiz.


6 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Au bout de trois jours (3 seulement au lieu de 6) passés dans nos trous, voilà qu’on nous a fait redescendre à Courtémont. Je crois qu’on s’est rendu compte combien les hommes sont à bout de force. En tout cas, le bruit court, avec insistance cette fois, que nous allons être ramenés en arrière vers Ste-Ménéhould, et je crois vraiment que cette fois-ci est la bonne.

Qu’adviendra-t-il de nous par la suite ? Rien de mieux à attendre ; pire même, peut-être. Mais les hommes ont absolument besoin de repos.

Nous avons quitté notre position à 1 h 30 du matin, et il était 4 h quand nous sommes arrivés ici. Je vais dormir, je n’en peux plus. Je ne pourrai plus t’écrire de lettre avant trois ou quatre jours, car je vais être débordé de travail à cause de mon bilan trimestriel. Je t’écrirai une carte tous les jours.

À toi, ma Vedig chérie, et à tous ceux que j’aime d'un amour infini.
Sous peu, l’argent promis.
Ton Loeiz.



8 novembre 1915


Ma Vedig chérie,

Je m’étais réjoui trop vite : sans doute ne connaîtrons-nous plus jamais de repos. Les troupes d’active de l’armée à disposition de laquelle nous étions ont été retirées du front, mais nous, demain, au cœur de la nuit noire, vers minuit, nous remonterons sans doute occuper nos trous, làbas. Rien n’est encore certain, mais pratiquement.

Me voilà un peu moins pressé par le travail, et ce soir, avant que le froid ne m’engourdisse, je t’écris ce petit mot.

J’ai préparé un mandat de 120 F que je t’enverrai demain ou après-demain. Louis m’écrit qu’il va à la maison. Hier, j’ai aperçu Paugam, du Fons ; il va bien.

Les affaires de Serbie auront pour conséquence de prolonger un peu la guerre un peu plus, mais cela ne changera rien à l’issue. Les Allemands ne peuvent pas remporter la victoire. La France toute seule ne les vaincra pas, elle non plus ; mais comment feront-ils pour tenir tête à la Russie, à l’Angleterre, à l’Italie, à nous, au Japon, à la Belgique, à la Serbie (13)?…

Jusqu’ici, je n’ai reçu que mon premier colis de vêtements. Rien d’autre par ailleurs. Celui qui contenait de l’eau de vie peut avoir été contrôlé en route et ouvert : l’envoi de ce genre de denrée est interdit.

Hier, j’ai communié pour vous. Demain matin, j’essaierai encore de renouveler ma communion pour les défunts qui ont travaillé avec moi pour la Bretagne.

Guénel est déjà un homme. Hervé le deviendra aussi. Papa est content d’eux, de tous les deux, ainsi que de leur maman.

Tu te trompes certainement si tu t'imagines qu'on pourra expédier du cidre au front.

Anna recevra de Loeiz le petit cadeau qu’elle espère à la condition qu’elle le demande : c’est tout de même un peu curieux de sa part de ne pas me dire tout droit, quand elle m’écrit, ce qui lui ferait plaisir.

Le battant de la cloche, mon pauvre Guénel, a certainement été enfoui lors de la déflagration. N’importe comment, il aurait été bien trop lourd.

Pour analyser le cidre, mieux vaut attendre que moi je sois revenu ; en effet, je ferai alors le cidre exactement comme il faut, en fonction des résultats.

J’en avais déjà parlé à Corlay. Aucune des pèlerines que tu as vues ne me convient : trop lourdes. Je crois que j’en trouverai une qui ne me coûtera guère plus de 20 F.

Vérifie donc ce qui nous reste comme vieille eau-de-vie. S’il y en a plus de 10 bouteilles, en vendre une à Guénédour ; 4 F la bouteille. Même prix s’il prend de l’autre. Se méfier cependant que cela ne se sache pas. Ne pas en vendre à d’autres qu’à lui. Garder au moins 10 bouteilles de la plus récente pour nous. Cette eau-de-vie vaut plus de 20 réaux la bouteille.

À te revoir bientôt, ma Vedig aimée. Ne perds pas courage. Un baiser à chacun d’entre vous, mes cinq ; cent et encore cent autres de plus pour ma Vedig à moi.
Ton Loeiz.
Garder cette enveloppe pour toucher le mandat.



9 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Bien reçu ton colis envoyé par le dépôt, ainsi que celui confié aux soins du soldat et qui contenait des pommes et un morceau de beurre dans une boite métallique. Ça m’a fait bien plaisir.

Sommes toujours à Courtémont. Aucune idée de ce que sera notre destination ! Attendons. Là-bas, avec vous, par la pensée. Ton Loeiz.
Ici, un mandat de 120 F.


10 novembre 1915


Ma Vedig à moi,


Joseph est venu passer une heure avec moi aujourd’hui. Il va bien et envoie affection au Goh -kér à Marie, à toi, aux nôtres. J’ai également vu et causé à Gloahec de Merlevenez, le futur beau-frère de Louis. Il me ramène des nouvelles de là-bas. T’ai adressé aujourd’hui par permiss. un paquet contenant : hamac, paire de chaussures d’été, ma chaîne de montre que je renvoie pour ne pas la perdre. (Ai acheté une autre en acier.) Je tiens à celle-là qui vient du Baudry et que ton père a portée. Également Revue, où tu verras encore des vues du pays où je suis, et un livre + 2 paquets de tabac pour mon père.

Pour le beurre, ne m’expédier que : 1 livre pour 15 jours. Cela me suffit. Les pommes font mes délices. Il y a plus d’un an que je n’en ai mangé. Ce sont les fruits qui me manquent le plus ici.

Rien de neuf en ce qui concerne notre maintien ici où notre départ. Le bruit court que nous allons encore changer de secteur ! ! ! Ce coin-ci est bien plus calme.

Affectueusement, mes chers cinq. Ma lumière diminue.

Loeiz.


12 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Avons regagné nos trous, sous la pluie ! La boue à nouveau ; à ne pas pouvoir s’en défaire.

M. Le Moigno m’a fait voir une lettre de son frère qui lui dit, à ta demande, d’insister auprès de moi pour que j’aille en permission. Après tout ce que je t’ai dit, rien ne pouvait m’être plus désagréable ; jamais je n’aurais cru que tu aurais recours à un étranger pour me dire ce que tu voulais me dire.

Enfin, cette guerre m’aura au moins révélé bien des choses.

Suis en bonne santé et bien vivant. Si je tiens ainsi pendant trois ou quatre années encore, il se peut que j’aille en permission pour de bon, sans qu’il soit nécessaire que tu me le demandes. En attendant cela, il me semble que ce sera moi, qui suis pourtant le plus exposé, qui ferai le plus preuve de résignation.

Je vous aime tous.

Loeiz.


13 novembre 1915


Ma Vedig à moi,


Tu n’es absolument pas obligée d’inviter les Le Moigno à déjeuner au Cosquer. Si M. Le Moigno va vous rendre visite : parfait ; quant à inviter toute sa famille alors que tu as déjà assez à faire, c’est trop.

Ce sont les hommes du rang que l’on prend d’abord pour renforcer l’active ; mais rien n’est encore fait. Par ailleurs, comme je sers au titre d’engagé, je marche avec la classe 1897, et beaucoup d’entre nous sont plus jeunes : classes 1898, 1899, 1900,1901, 1902, 1903 même.

Inutile de continuer à chercher l’article sur les Bardes : peut-être les exemplaires sont-ils restés à Lorient.

Ça te reviendra certainement moins cher de te chauffer au charbon.

Je ne veux pas d’une pèlerine à manches : je ne pourrais pas la mettre. Je ne veux pas d’une pèlerine lourde : je ne pourrais pas la porter. La pèlerine caoutchouc, gris, très léger, sans manches, très ample, capuchon mobile, bonne qualité à 1,10 m, 26 F conviendrait davantage. Dis-moi cependant combien elle pèse, car je me méfie de ce que signifie très léger.

Devoir porter un kilo de plus pour moi qui suis déjà bien chargé, c’est comme faire porter 10 kg à quelqu’un qui n’avait rien sur les épaules. Je voudrais aussi avoir un échantillon du tissu ou bien d’un tissu de même couleur. Le vendeur ne peut pas savoir ce qui me convient : jamais il ne s’est trouvé dans la situation qui est la nôtre. N'écoute pas ce qu’il peut te raconter et fais ce que moi je te demande. J’ai également écrit à Paris, mais la réponse tarde à venir.

Je joins ici un morceau d’une boite d’Eleska. J’ai eu 4 boites de ce chocolat : il est bon, rapide à préparer. Quand tu iras à Lorient, demande donc si on peut en trouver de celui-là. Si oui, m’en envoyer 4 boites dans le prochain colis.

De cœur avec toi.

Loeiz.



14 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Nous sommes maintenant rattachés au secteur postal des troupes venues relever l’active avec laquelle nous marchions auparavant. Écris-moi donc maintenant Secteur 148. Voilà deux jours que nous sommes sans nouvelles de nos familles. La santé est bonne.

À vous, mes cinq, bien affectueusement.

Loeiz.


Le 15 du mois Blanc 1915


Oui, ma Vedig, voilà que le mois noir est devenu blanc (14). Il neige ! Ça a commencé hier ; cette nuit ça a gelé et maintenant il neige, il neige ! Il fait froid également, mais nous sommes bien couverts.

Protéger les ruches si le froid vient. Mettre mon passe-montagne dans le prochain colis.

Demande dans quel régiment se trouvait M. Mentec (15). Dis à Fine que j’ai reçu les renseignements concernant M. Questel. On n’est toujours pas certain qu’il soit mort. Auguste Le Gall pense qu’il a été fait prisonnier puisque son corps n’a pas été retrouvé. En ce qui concerne M. Le Mentec, il pense qu’il pourra avoir une photo de sa tombe.

Dans le prochain colis toujours, me mettre un peu de laine blanche, pas beaucoup, pour repriser les bas qui me viennent du moulin. La santé est toujours bonne ; les guerriers sont bien silencieux.

La neige nous vient du côté de la Bretagne, blanche comme la fourrure de l’hermine.

Que notre amour demeure comme elle, sans tache à jamais… De cœur avec vous. Un baiser à chacun.

Loeiz.


16 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Tu peux déposer des paquets, de temps à autre, chez Le Bayon. Comme je te l’ai dit, je demande à des soldats de passer voir s’il y a quelque chose.

Tu ferais bien de jeter un coup d’œil à la ruche vide pour vérifier si le ver de la fausse teigne ne s’y est pas mis ; si c’est le cas, il détruira toutes les alvéoles de cire.

Je sais bien que ce n’est pas de ta faute si je ne reçois pas mes paquets aussi tôt que je le voudrais. Actuellement, je n’ai pourtant pas à me plaindre de ce côté. Nouvel envoi de tabac avant peu.

Je vais aussi te fabriquer un coupe-papier dans une bande d’obus (16).

Moi, le froid ne me cause pas trop de misères ; les hommes, eux, ce n’est pas la même chose. Ce matin, comme hier matin d’ailleurs, j’ai servi la messe de M. Le Moigno ; j’ai prié pour mon aimée.

Un baiser à Néné, à Hervé, à mon père, à ma mère et à ma Vedig.
Loeiz.


17 novembre 1915

 

Toujours en bonne santé. Il était question que nous redescendions à Courtémont aujourd’hui, pour 6 jours ; voilà maintenant que nous ne savons plus si nous faisons mouvement ou non.

Dans un des paquets que tu déposeras chez Le Bayon, me mettre un Breton Usuel : on m’en demande un exemplaire. La pluie est venue après la neige. Les chemins sont infects !

Cent baisers à vous tous, mes cinq.

Loeiz.


19 novembre 1915


Santé bonne malgré froid. Reçu lettres. Demain, si rien d’anormal, écrirai lettre répondant à celles reçues.

Sommes à Courtémont. 40 de la compagnie (des hommes du rang) sont versés dans l’active et nous quittent demain.

Pour colis à mettre chez Bayon : en déposer un de temps à autre ; je le ferai prendre. Beurre tous les 15 jours. Les pommes font plaisir.

Pour cidre à expédier : faire déclaration, comme à l’ordinaire, et présenter déclaration à octroi Kerentrec'h. Demander laissez-passer (0,10F) ; remettre ce laissez-passer à l’octroi de la gare de marchandises. Épingler déclaration au coin de la feuille expédition en petite vitesse. Faire peser le fût plein en arrivant à la gare : l’employé porte le poids sur la feuille d’expédition ; présenter la feuille au guichet Départ — Rien à payer. Remplir la feuille au Goh -kér suivant modèle dans mes papiers. Ne pas oublier : faire un trou d’air dans fût avec paille ; conseiller aux clients renvoyer fûts vides dans les 3 mois, je crois, pour bénéficier du tarif emballage. Les frais de retour sont à leur charge. Garder feuille duplicata qu’on remet à la gare. Bien indiquer adresse et n° du fût ou lettres placées sur le fût dans la colonne « N° et marque » de la feuille d’expédition. Si ennuyée, demander conseil à employé chargé du pesage à la gare. S’il reste feuilles expédition dans mes papiers, m’en expédier une : j’établirai modèle.



Samedi 20 novembre 1915


Ma Vedig chérie,


Je viens juste de terminer mes écritures pour pouvoir payer la compagnie demain matin, et, avant de m’en aller au Pays des Songes, je prends la plume pour répondre à un tas de lettres de toi.

Je suis débordé de travail en ce moment, contraint ainsi de déménager tous les 6 jours. Ajoutons à cela les malades qu’il faut évacuer, ceux qui reviennent de l’hôpital et qu’il faut réintégrer.

Demain, 34 hommes de la classe 1899 et plus jeunes vont être versés dans l’active, dans un régiment de la coloniale. Ils en sont bien marris, les pauvres ! Parmi eux se trouvent Louis Le Portz, le cousin de Fine Goulian, et bien d’autres encore. Ils vont remplacer des hommes plus âgés qui, eux, vont être versés dans notre compagnie. Ils sont plus de 350 à être ainsi retirés de notre régiment. Les gradés ne sont pas concernés, pour l’instant ; de toute manière, moi j'appartiens à la classe 1897 du fait mon engagement. On demande des sous-officiers pour devenir officier d’administration, à l’arrière ; j’ai fait ma demande pour passer l’examen. Cependant, je ne pense pas avoir de chances tant les demandes sont nombreuses par rapport aux places offertes.

Hier, j’ai mis en route un paquet qui sera déposé chez Le Bayon ; il contient une ceinture que j’ai portée, mais dont je n’ai plus l’usage (pour mon père). On a touché des gilets de laine ; j’en ai mis deux, l’un par-dessus l’autre, et il n’y a rien de trop, attaché comme je suis durant toute la journée à ma table, dans une pièce dont les murs ne sont pas plus épais qu’une feuille de papier, sans fenêtre. Je m’enveloppe les pieds dans une couverture ; c’est la seule façon de me réchauffer.

Ce pays n’a rien d’agréable, je t’assure !

Mais, voilà que j’oublie mon paquet. Il contient également du tabac, un caleçon, une paire de chaussures de cuir toutes neuves que je traîne après moi depuis un an. Comme j’ai mes galoches pour l’hiver et mes espadrilles pour l’été, sans compter une autre paire de chaussures que j’avais trouvée et que je t’ai déjà envoyée, il est clair que je ne me servirai pas de ces chaussures. Garde-les ; tu me les renverras si j’en ai besoin.

— Papa, quand il parle de son fils, dit Guénel parce que Guénel est le nom d’un grand saint, un homme instruit et plein de sagesse.

— Les veaux sont bien chers, à ce que je vois.

— C’est la boue qui nous fait le plus souffrir ; pour le reste, on parvient à tenir tête à la misère.

— Je n’ai absolument pas besoin de l’argent que je t’envoie. Je garde toujours 120 F d’avance. Tout ce que j’aurai en sus, je te l’enverrai. Chaque mois, tu peux compter sur 120 F au moins. Inutile donc de trop regarder à la dépense.

— Si tu achètes des pommes, en chercher d’abord dans le quartier ; des « Dous rouz bras », « Dous gris », « Margeit kozh » surtout. Laisser de côté les « Dous rouz vihan », les « Kohen » et les autres variétés.

Le beurre est bon : j’ai acheté une boite d’aluminium pour le mettre, et il se garde bien. Expédier du beurre, une livre tous les quinze jours.

Pour le charbon, acheter chez Le Brize : Lafabrier travaille là ; tu seras bien reçue.

— Répondre à ceux qui veulent être livrés immédiatement en pur jus cuit : « Il m’est impossible de vous livrer votre cidre pur jus cuit immédiatement. Aussitôt la fermentation terminée, je vous aviserai et pourrai vous en faire l’expédition ». On livre le cidre cuit quand il pèse 100g dans le densimètre. Alors, les bouchons ne sautent plus quand il est tiré en bouteille.

Ne cherche pas à tenir compte du jour où mes soldats passent ou pas chez Le Bayon. Moi même, je ne le sais pas ; ils passent, et ils emportent ce qu’il y a à emporter.

Moi, j’ai aussi une lampe comme celle d’Ab Alor. Ça ne coûte pas cher à l’achat, mais ça peut le devenir à l’usage, car la pile coûte 4 réaux et elle ne dure que 4 ou 5 heures ; et encore pas en continu. C’est pratique, la nuit, pour savoir l’heure qu’il est, pour jeter un coup d’œil rapide à quelque chose, pour voir où poser le pied ; mais il faut les garder au sec, sinon elles se déchargent. Si ça te fait plaisir, je t’enverrai la mienne et j’en achèterai une autre.

Au revoir, ma Vedig. Voilà que le froid commence à me saisir à nouveau. Je vais m’installer sur ma paille, entre mes couvertures, pour lire. (…………..)


Lundi 22 novembre 1915


Bonne santé. Rien de neuf.

Affectueusement à tous les cinq.

Loeiz.



23 novembre 1915


Tout va bien. Déposer tous les paquets chez Mme Le Bayon, Imprimeur ; ils me parviendront plus vite et en meilleur état. Un permissionnaire passera ces jours-ci. (Il en passe 2 ou 3 par semaine.) Faire un paquet de mes chaussons hauts. Ceux que j’ai ne sont pas assez chauds.

Baisers à tous les cinq.

L.H.


25 novembre 1915


Reçu colis avec beurre et passe-montagne. Jean-Marie, de retour de permission, m’ayant rapporté du beurre du moulin, inutile de m’en envoyer avant le 10 décembre (départ du Goh-Kér). M. Le Moigno ira sans doute jusqu’au Goh -kér. Je lui ai donné du tabac pour mon père. Joseph a quitté notre région et me laisse bien embarrassé. J’ai un colis que Philippe a pris au Baudry pour lui.

Nous avons changé de secteur postal, mais restons au même endroit. Les Germains tirent moins.

J’ai posé ma candidature comme secrétaire d’état-major, à l’arrière, pour remplacer les jeunes qu’on envoie maintenant au front. Si je suis retenu, je te le dirai immédiatement. Peut-être devrai-je renoncer à mes galons, mais tant pis ; au moins, je ne serai plus dans cet « enfer ».

À vous tous, affectueusement. J’ai lu ton poème ; celui que tu as composé et qui est très beau. Je suis toujours submergé de travail. Lettre plus longue ce soir.

Cent baisers à chacun d'entre vous, mes cinq.

Loeiz.


25 novembre1915


Ma Vedig chérie,


J'ai fini ma journée et, après avoir pris mon repas du soir dans un abri là-bas, au pied de la colline, j'ai grimpé jusqu'ici, dans un autre abri que je me suis aménagé pour moi et où je vais pouvoir maintenant causer un peu avec toi.
Je me trouve à un mètre sous terre, sous le niveau du sol de la tranchée qui a déjà deux mètres de profondeur. Au-dessus de ma tête, il y a une plaque métallique, deux couches de sacs remplis de terre, une imposante calotte métallique et un mètre de terre. Ceci était auparavant la première ligne, mais, depuis le 25 septembre, elle est devenue la seconde ligne. La première se trouve maintenant à une lieue d'ici, au-delà de la Main de Massiges.

Avant-hier, j'ai trouvé cet abri qui avait perdu sa façade ; comme j'aime bien la solitude, je l'ai remis en état pour moi. J'ai utilisé du bois pour refaire la partie manquante et, contre le bois, j'ai empilé des sacs de terre pour me protéger des éclats d'obus. Deux toiles de tente ferment la porte. Dans un coin, il y a un bidon métallique, percé comme une passoire, dans lequel je fais du feu avec du bois et du charbon. Souvent, mon gourbi se remplit de fumée, mais tant pis : il y fait bon. Sur un des côtés, j'ai installé trois planches, avec un rebord extérieur ; un peu de paille sur les trois planches, et voilà mon lit. Une toile de tente en guise de drap, une deuxième au-dessus ; je me glisse entre les deux, ôte mes chaussures et ma capote, coiffe un bonnet de nuit, enfile mon passemontagne et me voilà paré pour passer une douce nuit.



Voilà comment se présente mon lit. Selon mon habitude, le soir je lis un journal ou bien la Revue Hebdomadaire.

Mon chandelier est fait d'un bout de fil de fer que j'ai fixé, comme une suspension, dans la paroi de terre de l'abri. Je me suis aussi fabriqué une sorte de table avec deux planches que j'ai encastrées dans la paroi. Avec un autre bout de planche cloué sur quatre billots de bois, je me suis fait une chaise.

Les souris et les rats ne manquent pas de venir me déranger ; comme le planton d'ailleurs, qui se présente 2 ou 3 fois dans le courant de la nuit pour passer les consignes concernant le travail.

Pour éviter que les rats et les souris ne mangent mon beurre, je suis obligé de le suspendre au plafond de mon abri !

J'ai aussi de la musique, nuit et jour. Des obus passent, tirés par notre artillerie lourde ; ils viennent de si loin que ce n'est pas le départ de tir qu'on entend, mais le passage des obus qui fendent l'air, comme de gros hannetons, avant d'aller s'écraser là-bas, vers Cernay-en-Dormois . D'autres, de plus petit calibre, éclatent devant nous ; parfois ce sont les obus allemands qui, eux, viennent péter juste au-dessus de nos têtes.

Et puis, tous les soirs, nous avons droit au feu d'artifice que nous offre le ballet des fusées qu'on tire pour dialoguer avec l'artillerie ou bien, tout simplement, pour éclairer le terrain lorsque la nuit est trop noire.

Sans oublier le pic-poc des fusils qu'on entend tirer là-bas, vers Tahure. Et c'est comme cela tous les jours, tous les jours.

Les hommes sont occupés à approvisionner la première ligne ; ils transportent du bois, des planches, de la ferraille pour construire des abris, apportant aux soldats tout ce qui est nécessaire pour continuer à guerroyer. Voilà ce à quoi nous sommes occupés.

(...) Je suis heureux d'apprendre que tu es satisfaite de nos deux lascars. Quel plaisir ce sera de les retrouver quand cette saprée guerre finira ! … Embrasse-les tous les deux de la part de Papa, mes deux gars.

J'ai répondu pour papier octroi et déclaration. Envoyer en même temps que l'avis d'expédition une note rédigée ainsi (voir carte). La facture se fait sur la lettre même que tu écris. Pas de timbre, car alors l'acheteur peut refuser de te payer, la facture étant acquittée. Mes respects à Madame Ollivaux dont je garde, moi aussi, le meilleur souvenir.

Oui, je répondais à tous mes clients. Il faut bien les aviser que leur commande est acceptée.

Je suis si occupé que je n'ai pas encore trouvé le temps de me mettre au coupe-papier. Je te ferai une autre bague ; peut-être avec de petites hermines, comme ceci.


Oui, Guenél aura quelque chose, lui aussi. Et puis Hervé.

Le porte-plume fabriqué avec des cartouches n'est pas beau ; le cuivre n'est pas propre. Si j'en avais le loisir, je fabriquerais bien des choses, mais nous sommes constamment attachés à notre bureau.

En ce qui concerne ta bague, je pourrais la retravailler, la dégrossir davantage ; tu n'as qu'à me la retourner dans un paquet. Je vais me coucher.

Avec mon amour, mon aimée. Affectueusement à mon père, à ma mère. Le bonjour à Marie, aux Rio (J'écrirai à Jeanne-Marie, un de ces jours). J'ai écrit au moulin. Cent et cent baisers.
Loeiz Herrieu


27 novembre 1915


Suis en bonne santé, ma Vedig. Il fait froid ! Il gèle à pierre fendre et il neige un peu chaque nuit. Rien de neuf par ailleurs.

Un baiser à chacun d'entre vous, mes chers cinq.

Loeiz.


28 novembre 1915


Il fait froid, ma pauvre Vedig. Si froid que l’encre gelait ce matin au bout de ma plume ! Le pain est gelé ; l’eau du seau est couverte de glace. Moi, je n’en souffre pas encore de trop : je me suis arrangé dans mon abri, et j’y fais du feu toute la journée. Le pire, c’est qu'il faut bien en sortir.

Demain, nous redescendons à Courtémont ; ne t’inquiète donc pas si tu restes sans nouvelles de moi demain et après-demain. Une fois de plus, je te le redis : ne te tracasse pas pour 3 ou 4 jours de silence. Quand nous faisons mouvement ainsi, tous les 6 jours, le temps manque pour écrire. Rends-toi bien compte qu’il nous faut chaque fois faire nos deux lieues et demie, sur de simples sentiers, chargés et de nuit.

Au revoir, mon amour.

Loeiz.



1er décembre 1915


Suis en bonne santé, malgré les 10 km boueux que je viens de faire. Loisirs manquent pour coupe-papier : ça viendra.

Suis mort de fatigue. J’ai troué mes bas en faisant ma route dans une boue épaisse, molle.

De tout cœur avec toi.

Loeiz.


4 décembre 1915


Toujours à Courtémont. Demain, on regagne nos trous ; il pleuviote, mais il ne fait pas froid. T’envoie par la présente billet de 40 F. Cela fait trois envois : 50 F, 40 F et 40 F. Du travail toujours.

Vous embrasse tous.

L. H.


Premier dimanche de décembre 1915


Ma Vedig chérie,


Du travail par dessus la tête à cause des hommes qui s’en vont, de ceux qui arrivent. La santé reste bonne cependant, et je pense bien souvent à vous. J’aimerais avoir davantage de temps à vous consacrer, mais rien à faire : nous sommes toujours débordés. Rien de nouveau.
Ton Loeiz.


Dimanche 5 décembre 1915


Ma Vedig chérie,


Avant d’aller à la messe, je t’envoie ces quelques lignes. M. Le Moigno est rentré, et il m’a fait bien plaisir en me donnant de vos nouvelles, en me parlant de la maison en général, de toi, des enfants, de mon père et de ma mère. J’ai été très heureux de vous savoir en bonne santé, d’apprendre que vous essayez de faire face de votre mieux au malheur qui nous est tombé dessus.

Il m’a apporté la pèlerine : c’est parfait. Je crois même que le tissu est de bien meilleure qualité que ce que j’étais sur le point de commander. Merci beaucoup de l’avoir achetée.

Les paquets sont restés chez Le Bayon, car ceux qui devaient passer les prendre ne sont pas allés jusqu’à Lorient. Tu me diras si tu as bien reçu mon dernier paquet ; celui qui contenait une paire de chaussures de cuir. Dis-moi aussi si tu as bien reçu l’argent que je t’ai envoyé. Quant aux paquets qui sont chez Le Bayon, tu n’as qu’à les y laisser jusqu’à ce que quelqu’un d’ici aille à Lorient ; je le chargerai d’aller les prendre là-bas. Maintenant, il pleut tous les jours, ici : le temps est doux et agréable.

Le coupe-papier est taillé, mais je n’ai actuellement pas le temps de continuer à y travailler. Et je ne pourrai m’occuper de ce genre de chose de sitôt, car les jours raccourcissent alors que le travail, lui, ne diminue pas.

Mon père et ma mère n’aiment pas se laisser photographier ; je leur ressemble un peu sur ce point-là.

Pour la bague de François, impossible de m’y mettre pour la même raison que celle que je viens de te donner. On ne nous accorde qu’une bougie pour finir nos écritures, le soir, et elle file bien vite ; les jours eux-mêmes sont devenus bien courts.

En attendant, tu as bien fait d’acheter un jars ; même si la race que nous élevons est bien plus avantageuse : les oies viennent plus vite, elles sont plus lourdes.

Oui, fais donc du feu dans la chambre ; surtout quand le temps est humide. Dans le bureau également, il ne serait pas mauvais d’en faire, à cause de mes livres.

Tout est bien cher, là-bas ; les œufs, le beurre ne le sont pas davantage ici.

Ce n’est pas encore cette fois que je serai promu officier ou secrétaire. Toutes les places d’officiers sont prises par de plus âgés que moi : tous ont plus de 40 ans ; quant aux postes de secrétaires, ils reviennent à des messieurs qui les attendaient depuis longtemps.

Finalement, nous n’allons pas aux tranchées ce soir. 25 d’entre nous y étaient restés après nous ; nous avons détaché 28 autres dans une gare, un peu en arrière, pour décharger des wagons ; nous, nous restons ici jusqu’à nouvel ordre. On parle à nouveau de nous changer de secteur.

Aucune nouvelle de Job. Que vais-je faire de son paquet ? Personnellement, j’ai assez de choses à traîner.

Pourquoi n’achètes-tu pas une couverture cirée pour le cheval ?

N’écoute pas ce que dit ma mère : il faut l’obliger à prendre quelque chose. Quand ce qu’on veut lui faire prendre est prêt, elle l’accepte.

Le poème qu’Abalor avait composé à l’occasion de notre mariage se trouve dans l’armoire bibliothèque, dans un N° du Pays d’Arvor. Du côté gauche, il me semble ; avec d’autres volumes de petit format ; sur la seconde ou la troisième étagère.

Je t’expédierai ma lampe : j’en ai commandé une autre. Elle te rendra service. Pour ta mère, je vais essayer de fabriquer une petite croix ; sans doute aux environs de Noël ou du Jour de l’An.

Ne crois pas les fariboles que racontent les femmes à propos des alloc. Elles sont dues : elles seront payées.

Tu m’as mis deux paires de chaussons dans le paquet ! Qui t’a dit de m'en faire venir deux paires ? Ceux que je te demandais étaient les chaussons hauts ; ceux que j’avais expédiés à la maison l’an dernier. Fais-moi venir une autre pèlerine, exactement comme la mienne, même prix. L’adjudant de compagnie en veut une, lui aussi. Il me la remboursera. Expédition par la poste ; le plus vite possible.

Au revoir, ma Vedig. Au revoir, Néné. Au revoir, mon petit Hervé. Tonton Jésus qui est allé vous voir m’a dit que vous étiez très mignons, très gentils avec maman (17). Restez-le toujours. Papa vous aime bien. Dans le prochain paquet : du tabac pour mon père. Mon affection à lui et à ma mère dont j'ai à me plaindre, car elle refuse de se soigner.

Par le cœur et la pensée avec vous.

Ton Loeiz.

Billet de 20 F dans l’enveloppe.



6 décembre 1915



Nous voilà revenus au royaume de la boue ! Elle colle comme la bouillie à la bouche des enfants... Suis toujours en bonne santé. Rien de neuf.

Je t’aime.

Loeiz.


7 décembre 1915


Reçu lettre. La feuille d’exp. reste à la gare. Un double te sera remis que tu dois conserver. Joseph m’écrit enfin et me demande son colis : je me demande comment je pourrai le lui faire parvenir.

Ça tape sérieusement dans le secteur où Le Mentec est tombé. L’artillerie n’a pas cessé de tirer depuis hier au soir. Il fait mauvais temps ; pas froid pourtant. Je vais essayer, pendant les 6 jours qui viennent, de travailler à ton coupe-papier.

Cent baisers à toi. Bien affectueusement à tous les cinq.
Loeiz.



9 décembre 1915


Ma Vedig chérie,


Je n’ai aucune nouvelle de Mathurin Cottin. Je vais lui écrire un mot. Il fait ici un temps de... cochon, comme on dit du côté de Séné. À propos de Séné, justement, ça me rappelle Aimé Cappé qui y fut instituteur et qui se trouve actuellement ici, caporal au second bataillon ; je le rencontre souvent.

En ce qui concerne les choux, choisis ce qui te pèsera le moins ; ne regarde pas à ce que ça pourrait rapporter. Inutile de vouloir gagner davantage d'argent si on doit ensuite le dépenser chez le pharmacien. Marie ferait mieux de se ménager davantage qu’elle ne fait : c’est bien suffisant que nous soyons, nous, dans la boue, sans que vous, vous vous y mettiez volontairement.

Nous sommes installés à la colline 180, sur le flanc sud, dans un trou où je me suis déjà trouvé à plusieurs reprises. Mais, avec cette pluie qu’il nous fait, la voute s’éboule et les morceaux qui tombent viennent me salir mes petites affaires. Je vais barder le plafond aujourd’hui, histoire de retenir la terre. La nuit dernière, j’ai été réveillé par une petite souris qui, chaque nuit, me tient compagnie (elle dort près de ma tête) : elle s’était glissée sous ma couverture, jusqu’à mes pieds ; elle avait même commencé à me grignoter un chausson !

Tu fais bien d’instruire les enfants en faisant appel à leur intelligence et à leur esprit ; ils acquerront ainsi le goût d’apprendre.

Tu me diras si tu as reçu mon paquet, celui contenant des chaussures de cuir neuves, et l’argent que je t’ai expédié en quatre envois. M. Le Moigno s’est trouvé une paire de brodequins.

Tous les matins, je lui sers sa messe dans un endroit où nous faisons également la cuisine ; un endroit où on ne logerait pas les pourceaux chez nous, au pays... Mais Dieu est plus facile à contenter que les hommes...

Le 88e au repos ! Voilà un an qu’on nous chante ce refrain, mais, pour l’instant, ça n’a jamais été qu’un refrain. Voici, si tu veux le savoir, à quoi ressemble notre repos.

Nous passons 6 ou 7 jours ici : repas de midi à 9 heures, travail ensuite — sans pause — jusqu’à 5 heures (transporter du bois, des obus, des bonbonnes de gaz asphyxiant ; dans l’eau et la boue jusqu’à l’entre-jambes). Après la soupe, dormir dans des trous (sans paille, ou presque) où il pleut, même quand ça ne tombe pas à l’extérieur, et où le vent pénètre comme dans un hangar.

6 jours comme cela.

Et puis retour, de nuit, dans la boue à Courtémont (10 à 12 km). Là, marche pour les hommes tous les matins ou bien entraînement au tir ; quand on ne les envoie pas dans une gare quelconque, à 4 ou 5 lieues en arrière, décharger des wagons ! ... La fois dernière, on nous avait adjoint des jeunes de l’active pour aider au travail : ils étaient épuisés, au point que certains en pleuraient.

On rencontre ainsi dans les boyaux des hommes dont on ne voit plus que les yeux : de la tête aux pieds, ils ne sont plus que boue, des piliers de boue. Ils s’assoient comme cela dans la boue, dans l’eau. Qu’un obus éclate à côté d’eux, ils ne font rien pour se mettre à l’abri : autant vaut mourir, disent-ils ! Et ils restent ainsi — les jeunes — 6 jours durant, trempés, dormant dans la boue, sans avaler la moindre nourriture chaude.

Si les gens de l’arrière pouvaient voir les leurs ici, à l’avant, ils en resteraient muets de saisissement, cesseraient de se plaindre, n’oseraient même plus ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit.


Écris assez grand et plante un clou de bride (court) à chaque coin, pour tenir la feuille. Ne jamais oublier de porter sur la feuille d’expédition le N° ou les lettres peintes sur le fût lui-même (en noir). Les uns portent L. H., je crois ; d’autres des N°. Si l’adresse vient à se détacher, à la gare, ils peuvent reconnaître le fût grâce à cette précaution.

Concernant les pommes du Recteur, tu peux faire comme ceci : 1400p. à 2,50 F le 100 = 35 F Réduction de 5 % = 1,75 F ______ Total 33,25 F Comme il n’y a pratiquement pas de transport, et qu’il s’agit d’un ami, arrondis le tout à 30 F.

La petite hermine de Hervé se présente comme ceci ; de la taille de mon dessin, pas plus grande. Avec une petite épingle au dos pour pouvoir l'accrocher.

Aujourd’hui, je vais travailler à quelque chose pour Hervé. Ce sera ensuite le tour d’Anna, de François, de ta mère... Celui de chacun arrivera, mais tout ça me prendra tout de même un bon bout de temps.

Louis Le Portz se trouve actuellement en première ligne, alors qu’on parle d’attaquer l’ennemi : en voilà un qui doit sans doute se mordre les doigts.

Job Le Higour (le gardien de la passerelle) a aussi été affecté dans l’armée active ; ainsi que Nicolas, du même village que la fille Le Fort de Caudan. Louis Le Carrer également.

Oui, tu peux prendre des Bons de l’Emprunt. Va donc voir M. Perron, donne-lui le bonjour de ma part et demande-lui donc où se trouve maintenant son fils, Jules. Il t’expliquera tout ce que tu dois faire.

Pas de nouvelles de Jos Parker. Jean-Marie a été hospitalisé : les oreillons.

Je savais bien que cette ceinture-là plairait à mon père.

Pour le rosier rouge, regarde si les branches sont encore vertes ; si c’est le cas, casses-en quelques-unes pour en faire des boutures. Mets-les en terre ; ça prend racine très facilement.

Ne te fais pas de souci pour moi : le plus heureux de toute la compagnie, c’est moi. Oui, ce n’est pas une mauvaise idée que de faire couver des œufs d’oie ; mais ce n’est pas encore le moment.

Fais attention à ce qu’il ne pleuve pas sur les abeilles.

Pour soutirer le cidre, il vaut mieux que tu le fasses quand il pèsera entre 1010 et 1015. Tu te souviens de la façon dont je procédais ?

J’ai commandé une lampe de poche pour toi. Je te l’enverrai par le premier permissionnaire. Voilà comment ça fonctionne. Contre le côté se trouve un bouton ; quand on appuie dessus pour le faire descendre, ça allume ; quand on le lève, ça s’éteint.

Il ne faut pas la laisser fonctionner trop longtemps en continu. À conserver dans un endroit très sec ; près de la cuisinière, sur le coin de l’étagère ou bien dans ta poche. Quand la pile est usée, on en achète une autre ; ça vaut entre 1 F et 1,50 F maximum. Tu demanderas au vendeur d’essayer la pile devant toi (n’achète jamais de pile sans qu’elle n’ait été essayée devant toi). On utilise pour cela une paire de ciseaux sur laquelle on a installé une ampoule. Si l’ampoule s’allume, c’est parfait. L’ampoule est une petite boule en verre avec, à l’intérieur, un filament qui produit la lumière. La pile se présente comme ceci.

On met la languette métallique A du côté du bouton interrupteur de manière à ce que la languette de cuivre B touche le pied de l’ampoule. Quand on descend l’interrupteur, son extrémité entre en contact avec la languette A, et permet le passage du courant qui va produire la lumière ; quand le contact n’existe plus, la lumière s’éteint. Le fonctionnement de la pile est simple à comprendre. Elle contient deux forces : l’une marquée + et l’autre — . Il suffit de mettre entre ces deux forces une ampoule dont le pied sera en contact avec le pôle A et B et on obtient de la lumière ; si le contact ne se fait qu’avec un des pôles seulement, rien ne se passe. C’est la raison pour laquelle le bouton-interrupteur, en entrant en contact avec A, permet au courant de passer jusqu’à B par le boitier. Il te suffira d’ouvrir le boitier, par le bas, et d’en retirer la pile et tu comprendras immédiatement. Conserve cette feuille.

 

Cent baisers aux enfants. Toute mon affection à mes parents, mais à toi, ma Vedig, la meilleure part.
Ton Loeiz.


11 décembre 1915


Toujours la pluie ; vent fou ! J’ai été obligé de boiser mon plafond avec des planches et des poteaux de bois ! Quelle vie ! Mon caporal-fourrier est un peintre de Lorient (18); il s’appelle Gauffriaud. C’est un pauvre gars qui n’arrête pas de geindre ; ce n’est pourtant pas le mauvais bougre. Je n’ai vu Guillouzo qu’une seule fois.

Le cacao est excellent et facile à préparer, mais je n’en prends que quand je ne peux pas avoir de café.

Retour à Courtémont dans les jours qui viennent.

Au revoir, Ma Vedig. Au revoir à demain Avec toi de tout cœur.

Ton Loeiz.



12 décembre 1915


Cette fois-ci, nous n’irons pas à Courtémont après nos 6 jours. Nous restons ici pour 6 autres, et puis 6 autres encore ; autrement dit, nous voilà ici pour 18 jours, sauf contre-ordre.

Je vais bien. Il pleut, il neige. Même si on y est davantage exposés, je préfère malgré tout rester ici plutôt que d’avoir, une fois de plus, à baratter la boue des chemins.

Tes paquets ont été déposés trop tard chez Le Bayon. Ce n’est pas grave. Concernant l’argent, tu ferais mieux de mettre ce que tu ne peux pas placer sur notre livret à la Banque Populaire : tu percevrais au moins un petit intérêt dessus. La lecture des ouvrages de Bourget apporte toujours quelque chose.

Ne t’étonne pas que nous n’avancions plus : la guerre pourrait très bien finir, et nous la gagner, sans qu’on ait même à bouger : c’est celui qui aura le plus d’argent, le plus d’or, qui remportera la victoire.

La pèlerine est parfaite. M. Le Moigno a déchiré la sienne aux barbelés ! ... J’ai encore environ 30 F dont je peux me défaire. Je te les enverrai ces jours-ci. Tenez bon. J’ai écrit à Jeanne-Marie.

Un baiser aux enfants. Affectueusement à ma mère et à mon père. Toujours à toi, sans partage.
Loeiz.


16 décembre 1915


Ma Vedig chérie,


Dans le paquet que je t’expédie aujourd’hui, tu trouveras le reçu dont je t’ai parlé et deux autres paquets de tabac. Il fait toujours froid ; pas autant pourtant que l’autre fois. Si tu as quelque chose à me faire venir, le mettre chez le B. Le soldat qui apporte mon paquet m’a promis de repasser par là pour prendre ce qu’il y aura.

Il est question, une fois encore, de nous faire partir à l’arrière, mais je n’y crois plus : ça fait bien trop souvent qu’on nous a badigeonné les lèvres avec ce miel sans que jamais on ne nous ait donné l'occasion de le lécher.

Avec tout mon amour, ma Vedig, à toi comme à tous ceux qui nous sont chers. Le bonjour aux Goulian et à Marie. De tout cœur,
Loeiz.


17 décembre 1915


Rien de nouveau. Santé excellente. Baisers.
Loeiz.

 

 

(1) il sera suivi de bien d'autres . Les soldats touchent en effet leur ration de tabac de troupe (tabac gris, scaferlati) : 100g tous les 7 jours ; généralement utilisé dans la pipe. À partir de février 1918, Loeiz n'en percevra plus gratuitement en tant que membre du service de l'administration de l'armée coloniale ; il lui sera cependant très facile d'en acheter autour de lui. Il est évidemment interdit de faire passer du tabac de troupe aux civils de l'arrière : l'état y perdrait !

(2) si cet envoi répond maintenant à un réel besoin - la popote ne marche plus - , il va très vite devenir une institution, une denrée portant une grande charge affective, un lien concret avec la maison, le fruit du travail des mains de Loeiza ...

(3) du camphre en poudre - boite ou sachets - pour se protéger de la vermine, se frictionner les pieds (contre le froid et les gelures) et autres usages encore. Loeiz utilise aussi de l'alcool camphré pour un usage similaire. L'eau, même si elle est potable, contient une multitude de germes dangereux quand on vit dans un tel environnement.

(4) il est question de la tombe du père de Loeiza. Le ton des deux phrases suivantes montre assez combien Loeiz, au cœur de la bataille de Massiges, est loin de ces préoccupations de … l'arrière.

(5) Loeiz a rédigé un autre testament, concis, mais clair – y compris concernant sa mort éventuelle du fait de la guerre – dans son carnet de notes dans la nuit du 24 au 25 septembre 1915, dans les heures qui précèdent le déclenchement de la bataille de Massiges.

(6) la manufacture d'armes et cycles de St-Etienne édite un catalogue spécial de produits et objets usuels à destination des soldats (lampes de poches, matériel de bricolage...

(7) au médius de la main de Massiges

(8) entre le 25.09.1915 et le 8.10.1915, les pertes du 88e RIT s'élèvent à 24 tués et 32 blessés ; tous ont été victimes des bombardements.

(9) le casque Adrian, du nom du sous-intendant militaire Louis Adrian.

(10) Loeiza est superstitieuse. Sans doute a-t-elle fait mention de pies aperçues traversant le chemin devant elle : un signe de mauvais augure en Basse-Bretagne.

(11) partie supérieure de l'obus contenant le mécanisme de mise à feu de la charge explosive. Ces objets qui se trouvaient en grande quantité sur le sol après un bombardement constituaient, avec les bandes d'obus, la matière première indispensable à la fabrication des bagues, croix, briquets, etc. Certaines fusées - qui n'avaient pas correctement fonctionné - présentaient un réel danger d'explosion et les soldats à en avoir été les victimes ne sont pas rares. Faut-il croire que Loeiz ignore si celle qu'il a expédiée à la maison présente un danger ou pas ? Et si c'était une ruse pour que Loeiza ne la manipule pas, ne la donne pas aux enfants ? ...

(12) il faut comprendre : ira livrer du cidre ou bien ira sur le marché pour vendre les produits de l'exploitation.

(13) les Allemands et les Bulgares coalisés viennent de remporter une importante victoire sur la Serbie, alliée de la France : Belgrade est prise et les troupes serbes sont contraintes à la retraite ; c'est le début de l'exode vers l'Albanie, à travers les montagnes enneigées, de l'armée serbe et du roi Pierre II.

(14) Loeiz joue sur les mots : novembre se dit miz Du (le mois noir), en breton.

(15) tué au combat à Perthes-les-Hurlus le 25 septembre 1915.
(16) il lui sera expédié à la fin de mars 1916. Il a été conservé dans la famille.

(17) « Tonton Jésus », c'est sous ce nom que les enfants Henrio connaissent l'abbé Le Moigno.

(18) l 'homme gagnait sa vie, semble-t-il, en vendant sur les marchés de petites aquarelles qu'il peignait devant les badauds.

 

Les quelques notes explicatives mises en exergue dans quelques lettres ci-dessus sont de Daniel Carré qui prépare actuellement une édition de l'ensemble de la correspondance de guerre de Loeiz avec son épouse, soit environ 630 courriers.

Elle comportera tout un corpus annexe : mise en perspective, informations relatives aux événements et aux faits signalés, personnages cités, correspondants réguliers ou occasionnels mentionnés, photos...

Date de parution envisagée : 2016

Les notes extraites des CARNETS DE GUERRE de L. Henrio, pour la période de septembre à décembre 1915, sont également en ligne sur notre site ; on peut obtenir une version numérique de l'ensemble des carnets sur simple demande adressée à D. Carré.

Le Tournant de la Mort, une seconde traduction française de Kammdro an Ankoù, le journal de guerre publié par L. Henrio dans les années 1930 en reprenant la matière de ses carnets, est disponible depuis quelques mois : un magnifique ouvrage de 500 pages édité en 2014 par les éditions TIR, Kuzul ar brezhoneg (ISBN : 978-2-917681-24-4 ; www. brezhoneg.org ; 18 euros)

 

(Avec la très aimable autorisation de Daniel Carré, son traducteur, et de la famille de Loeiz Herrieu)