L’Offensive du 25 septembre 1915
"Il y a cent ans mon père le soldat Ricordeau Marius était de l'attaque du 25/09/1915 où il a été blessé ce jour là à 6h du matin .
Une balle de mitrailleuse lui a brisé le fémur après avoir traversé un ruisseau qui coule en bas de la petite vallée (ruisseau de l'Etang) pendant qu'il remontait la côte .
Il a vécu jusqu'à 90 ans avec une jambe plus courte que l'autre raccourcie de 5 cm , compensée au moyen d'une chaussure spéciale offerte par le ministère de la guerre.
Le matin de l'attaque à 5h du matin on lui avait servi un quart de montenligne moitié alcool-moitié éther ce qui l'a fait vomir et il n'avait pas dormi depuis 24h ce jour là" .
André Georges Ricordeau dans sa 87eme année (témoignage reçu le 24/09/2015)
"Là, en Champagne, sur douze kms de pauvre terre, 2 millions d’hommes ont passé une année à s’entre-tuer.
Cinq Villages disparaîtront à tout jamais, il s’agit de Tahure, de Perthes les Hurlus, d’Hurlus, de Mesnil les Hurlus et de Ripont.
En octobre 1915 enfin, après plus de 300 assauts infructueux, les fantassins français enlèvent les tranchées.
Cette offensive d’automne fut un affreux échec malgré le petit gain de terrain qui provoqua un instant des espoirs démesurés."
(Louis Guiral, Je les grignote, Champagne 1914-1915)
"Sur l’ensemble du 1er corps colonial,les trois quarts des officiers supérieurs étaient tués ou blessés.
Nous avions mis 1 an pour conquérir la Main de Massiges au prix de prodiges d’héroisme et de sacrifices dépensés par le 1er corps colonial.
Le total des pertes que nous avons éprouvées sur ce champ de bataille de quelques kms ne doit pas être éloigné d’une vingtaine de mille hommes."
(Général Rouqerol)
"L’attaque est pour demain matin. Samedi au jour, c’est notre bataillon qui attaque ; depuis deux jours, nous avons un bombardement terrible, nous montons ce soir pour l’attaque.
Vue de la Main de Massiges lors de la préparation d'artillerie du 24 septembre 1915 (collection Guy François)
Ce matin, nous avons passé la revue du général de brigade, présentation du drapeau, pas de charge, etc…Le colon nous a fait un discours d’imbéciles comme toujours.
Nos sacs sont vides, nous n’avons plus de linge, que seulement : deux mouchoirs, une serviette, mais j’ai mis une paire de chaussettes et tous les mouchoirs. Au moins, si je suis blessé, cela me servira. Nous n’avons plus de veste ni de couvertures, plus rien ! Dans le sac, nous avons deux sacs pour mettre de la terre, la toile de tente et 4 jours de vivre, biscuits, sucre, café, boîte de thon, sardines, singe, potage salé et voilà tout. Nous avons un bidon en plus, une petite bêche, 290 cartouches, 4 grenades, 2 musettes."
(George Bearel du 71e RI, le 24 septembre 1915)
"20 heures là-bas, vers les brasiers, des lueurs profondes creusent les ténèbres jusqu’au zénith. D’autres, plus légères, s’envolent d’un bout du monde à l’autre.
Voilà trois jours et trois nuits que gronde et roule le tonnerre de nos pièces, trois jours et trois nuits que sans interruption nos canons crachent des éclairs et des éclairs, des obus, des obus, des obus.
Mais les gueules de feu semblent essoufflées.
Est-ce à nous maintenant ?
Oui, c’est à nous : dans trois heures nous partons.
Les mitrailleuses, les fils de fer seront-ils détruits ? "
(Jacques Arnoux, Paroles d’un revenant, 116e RI, 1923)
"Nous entrons en agonie, nous attendons l’heure H, qu’on nous mette en croix, abandonnés de Dieu, condamnés par les hommes."
(Gabriel Chevallier, la peur, 1930)
(Dessin de Marcel Chabas-Chigny)
Je me souviens que j’ai vingt ans…
25 septembre :
"En avant !...Le 25 septembre 1915 à 2 heures du matin nous quittions le Bois d’ Hauzy pour le champ de bataille. Nous emportions un jour de vivres et nos provisions de combat : un poignard, une bombe lacrymogène et la carte des tranchées allemandes.
Dès que le jour parut, un ouragan de feu s’abattit sur la plaine, à faire croire à la fin du monde.
Sous les rafales d’artillerie, l’air gémissait, le sol craquait (…) ce bourdonnement lugubre déchirait nos oreilles, tandis que le fracas de la mitraille tendait à rompre nos nerfs surexcités.
Bientôt la terre se couvrit d’un voile épais de brume, au travers duquel on sentait monter les larmes intarissables d’un ciel triste et noir.
Des obus percutants jaillissaient des gerbes de flammes de plus de cent mètres, qui rejoignaient en l’air les langues de feu vomies par les fusants.
Les nuées jaunâtres des obus asphyxiants rendaient encore plus sinistres ces tourbillons de feu."
(Joseph Raymond, Froc et Epée, 1919)
"Presque au coude à coude, 120 000 hommes se haussèrent sous le ciel. Pour s’arracher à la boue de la tranchée, chacun d’eux avait dû vaincre, plus écrasant que sa propre pesanteur, que la fatigue et le poids du sac et des armes, le faix d’une inhumaine et formidable solitude."
(Louis Guiral, Je les grignote, Champagne 14-15)
"Une marée humaine…des vagues bleues jusqu’ aux horizons." (Jacques Arnoux, Paroles d’un revenant, 116e RI, 1923)
(Toutes les photos d'époque illustrent cette offensive)
"Le 25 septembre, il pleut depuis le matin.
A 9h15 l’attaque commence.
Les 1ères vagues sautent et attaquent.
Nous partons au pas de gym sous le feu des mitrailleuses et un déluge d’obus éclate sur nous. C’était effrayant mais personne n’hésite.
Nous traversons vite leur tir de barrage mais nous sommes tombés sur les lignes de barbelés presque intactes malgré les bombardements et nous avons été cloués au sol avec beaucoup de morts par les mitrailleuses.
Nous sommes restés toute la journée cachés dans les trous d’obus, devant les fils de fer ennemis. C’était un vrai enfer, avec des morts et des blessés partout.
Le soir nous nous reportons en arrière, mais un grand nombre était mort ou blessé.
Les jours suivants les brancardiers en ramènent encore." (Témoignage de Jules Varoquier, lu lors de la cérémonie de Minaucourt du 30.09.2001, diffusion avec l'aimable autorisation d' Albert Varoquier)
(Dessin d'Etienne Lagrange)
Le soir du 25 septembre, les médecins, infirmiers, brancardiers s’affairent autour des blessés, souvent agonisants. Ceux dont les blessures ne laissent aucun espoir sont abandonnés à leur sort au profit des blessés plus légers.
Secteur de Massiges, septembre 15
Le 26 septembre :
"La lune se lève, rouge écarlate, comme si elle reflétait le sang répandu ici."
(Loeiz Herrieu, 88e RI, secteur de Massiges, 26 septembre 1915)
Panorama de la Main de Massiges 26 septembre 1915 Obus éclatant sur la Main de Massiges 26 septembre 1915
ARSENE ALLAIN, du 21e RIC, raconte ce terrible combat à sa mère : sa lettre échappe à la censure
(Avec l'aimable autorisation de M et Mme PENARD - petite-fille d'Arsène ALLAIN - que nous remercions vivement pour cet inestimable témoignage)
PAUL BONNAFOUX du 4e RIC livre, à son tour, un récit captivant des événements :
(Nous remercions tout particulièrement Jean-Michel Bonnafoux, son petit-fils, pour cette belle contribution)
La lutte se poursuit plus ou moins intensément jusqu’ au 6 octobre 1915, date à laquelle une nouvelle attaque est déclenchée, à 5h25.
Le 6 octobre 1915 :
"Au petit jour une corvée nous apporte chacun un casque et nous partons pour l’attaque.
Cette nouvelle coiffure nous parait lourde sur la tête et nous rend méconnaissables.
A partir de ce jour nous ne devions plus revoir nos képis.
Un par un, nous montons le petit boyau à peine creusé et nous arrivons sur le parapet de la tranchée de 1er ligne ou nous nous couchons à plat ventre en attendant le signal de l’avant, le fusil à côté de nous, baïonnette au bout du canon et chacun 2 grenades(…) les hommes tombent comme des mouches.
Nous restons ainsi 2 heures, le canon revolver boche nous éclate devant le nez et ce jour j’ai eu la vie sauve grâce à deux cadavres, déjà en putréfaction, que j’avais eu soin de tirer devant moi pour me servir de pare-balles (…)
Un obus tombe contre le parapet et nous recouvre totalement de terre.
L’après-midi le bombardement reprend avec la même force qu’hier (…) tout le monde met baïonnette au canon, un clairon sonne la charge et nous partons …
A l’instant où je passe le parapet l’effet est singulier, on se rend à peine compte de la situation, partout les blessés font entendre leurs plaintes. Nous avançons de trous d’obus en trous d’obus.
A un certain moment je reste accroché dans les fils de fer et c’est un copain qui vient en rampant me dépendre, mais j’y perds mes musettes.
Notre capitaine reçoit une balle à l’épaule et passe le commandement de la compagnie au Sous-lieutenant qui peu de temps après est tué par une balle en pleine tête.
Il ne reste plus de chef à la Compagnie." (Théodore Devaux, Champagne)
Cette nouvelle journée aura coûté au 1er Corps Colonial et à la 32ème D.I, 1200 hommes.
"L’offensive est un échec sanglant, causé par le mauvais temps, la faiblesse des liaisons et transmissions entre artillerie et infanterie, un manque de moyens et une préparation d’artillerie insuffisante.
Jamais les deuxièmes positions ne furent rompues sur tout le front et nos troupes s’agglutinèrent sur des nids de mitrailleuses qui les réduisirent à néant.
Au petit jour, nous découvrons devant nous un large terrain découvert, crevés de trous d’obus où se sont brisées nos attaques de septembre.
A une cinquantaine de mètres, des morts, des fantassins par dizaines, gisent là, fauchés par les mitrailleuses, tombés comme ils chargeaient à la baïonnette, face en avant (…) Certains abattus sur les genoux, semblent encore prêts à bondir.
Des patrouilleurs d’un soir nous signalent que ces cadavres méconnaissables sous leurs capotes déteintes, sont rongés par les rats qui pullulent dans le secteur." (Des rats aussi gros que des chats seront cités dans plusieurs récits de combattants français comme allemands)
(Marcel Maire, sac au dos-chronique de guerre 1914-1918, 171e RI)
Le commandement supérieur arrête définitivement l’offensive, le 7 octobre.
Secteur de Massiges, septembre 1915, cadavres français
"Pour la période du 25 septembre 1915 au 8 octobre suivant : on peut estimer à une quinzaine de mille hommes le total des pertes subies par les 4 divisions du 1er corps d’armée colonial (nombre des prisonniers insignifiant)." (Général Rouqerol, la Main de Massiges, 1933)
La Main de Massiges restera jusqu’ à la fin de la guerre un point de contact souvent très agité entre les 2 adversaires.
"Deux fois encore avant la fin de la guerre, la Main de Massiges devait être le théâtre d’opérations notoires, pour répondre à l’attaque allemande du 15 juillet 1918, et prendre part à l’offensive libératrice du mois de septembre suivant." (Général Rouqerol, la Main de Massiges, 1933)
Il faudra attendre la dernière offensive franco-américaine, le 26 septembre 1918, pour voir enfin l’ennemi reculer définitivement.
Côte 191, le cratère. Entonnoir de mine organisé en tour de guet sur les lèvres de l’entonnoir
Vue aérienne de la Main 2 mai 1917