700 000 DISPARUS (suivi de ceux de Massiges)
Une armée invisible, et un deuil impossible pour les familles.
"Les soldats victorieux et las rentreront chez eux.
Mais vous, vous ne rentrerez jamais."
"Non, votre martyre n’est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe."
(Roland Dorgelès, les croix de bois, 1919)
Cent ans après, la terre saigne encore…
Les corps de ces soldats ont été découverts lors des travaux de remise en état des tranchées, avec toujours cet immense espoir de "renouer les fils et de dissiper le brouillard de l’oubli pour voir réapparaître les noms, les visages et les vies." (Cyrille, Forum 14-18)
"La remise à jour de tels vestiges est toujours poignante.
Ces corps, souvent profondément bouleversés, font directement appel à notre mémoire collective, mais aussi individuelle (…)
Ces hommes auraient pu être nos ascendants presque directs. Leur accorder un minimum d’attention était devenu incontournable, au moins par respect pour cette génération sacrifiée."
(Yves Desfossés, l’archéologie de la Grande Guerre, 2013)
En liaison avec le service des sépultures de Metz, les corps sont relevés par Yves Desfossés (conservateur régional de l’archéologie de Champagne-Ardenne) et par Michel Signoli (anthropologue et directeur de recherches au CNRS de Marseille).
A l’issue de leur étude anthropologique dans le laboratoire du CNRS, les corps de ces soldats sont inhumés, au cours d’une cérémonie, au cimetière militaire de Minaucourt, auprès de leurs frères d’arme.
Les cérémonies à la mémoire des soldats français retrouvés, tiennent beaucoup à la volonté du Sous-préfet de Reims, Michel Bernard, en liaison avec l’Office National des Anciens Combattants de la Marne, et au combat mené par les bénévoles de la Main de Massiges.
« le seul hommage que ces soldats ont jamais eu », défend Eric Marchal, président de l'association.
Trois types de disparus :
Durant l'été 1914, avec une moyenne de 4000 morts par jour d’août à septembre, de nombreuses fosses communes ont été creusées.
- Au début du conflit, le soldat français ne porte sur lui qu’une plaque d’identité. Lorsque celui-ci est tué et vu, sa plaque lui est ôtée ainsi que ses effets personnels. Une fois inhumé, la seule identification se porte sur une écriture plus ou moins éphémère sur une croix de bois ou sur un papier glissé dans une bouteille renversée. La guerre sera plus longue que prévue, ces papiers écrits à la hâte s’effacent, certains secteurs du front changent de camp et ces tombes restent plus ou moins « abandonnées ».
Après la guerre, les corps sont relevés. Dans ces fosses communes ou ces tombes isolées, on ne sait plus qui est qui et qui est où.
Ceci explique qu’un grand nombre d’hommes tombés durant le premier trimestre de guerre sont portés disparus.
Tombes de coloniaux à Massiges Tombe de 4 officiers allemands
"Maintenant c’est le pays de la mort, tous ses champs sont bouleversés, piétinés, les fermes sont brulées ou en ruine et une autre végétation est née : ce sont les petits monticules surmontés d’une croix ou simplement d’une bouteille renversée dans laquelle on a placé les papiers de celui qui dort là."
(Paroles de poilus, de Jean-Pierre Guéno, 1998)
- Après les attaques, de nombreux morts restent sur le terrain, plutôt sur le no man’s land. Le nombre de blessés est trois à quatre fois supérieur aux tués. Les brancardiers ne s’occupent pas des morts, la priorité est aux blessés (quand ceux-ci peuvent être secourus !) certains morts sont sommairement poussés dans un trou d’obus et recouverts d’un peu de terre, mais les autres restent sur le terrain, à l’air libre. Il a été fréquent que des squelettes d’hommes tombés en 1915 ne puissent être relevés qu’après la guerre. Ces squelettes dispersés par les obus ne fourniront plus d’identité lorsqu’ils seront relevés.
"On a rassemblé leurs restes à la hâte, au clair de lune, dans une toile.
On a creusé un trou, et le soir nous leur avons dit adieu.
On en a tant vu que les sens s’émoussent, que le cœur se blase. L’inhumaine cuirasse nous protège de sentiments trop humains.
Et on n’y pense plus une minute après.
Et pourtant nous avons tout partagé, marché ensemble, souffert au même endroit, été enterrés par la même mine, enlisés dans la même boue, nous avions courbé la tête sous les mêmes rafales.
On a la gorge serrée et comme une envie de pleurer. C’est fini.
Ce soir la loterie recommence ; heureux ceux qui ramèneront les bons numéros."
(Romain Darchy, ancien poilu puis grand résistant mort en 1944)
Minaucourt le Mesnil les Hurlus 1916 (ECPAD)
- Pendant les bombardements, des hommes ont été ensevelis vivants ou morts, soit dans leurs abris, dans les tranchées ou tout simplement morts entre les lignes et recouverts par des obus. Ces hommes n’ont jamais été retrouvés.
Sans oublier la guerre des mines souterraines, outre le danger pour le combattant de surface de se faire ensevelir par l’explosion de celle-ci, de nombreux sapeurs sont morts, écrasés à plusieurs dizaines de mètres de profondeur dans les galeries
Mitrailleur enseveli au petit poste sape 17 Ravin des Noyers (Nov 1915)
Côte 191, fond des entonnoirs, cratère de la mort 1917
"Les journées sont brûlantes et les morts sont étendus là en rangs serrés.
Nous ne pouvons pas aller les chercher tous ; nous ne savons pas ce que nous pourrions en faire.
Ce sont les obus qui les enterrent."
(Erich Maria Remarque, à l’Ouest, rien de nouveau, 1928)
CEUX DE MASSIGES :
MARS 2012 : découverte d'un soldat Français (fr 1)
Le premier corps a été trouvé lors de travaux de terrassement d’une tranchée.
La position et l’emplacement du corps prouve que celui-ci a été inhumé avec une certaine attention, au fond d’un petit décrochement de la tranchée.
La présence de ses cartouchières confirme bien qu’il s’agit d’un Français.
Les boutons d’uniforme, ornés d’une ancre de marine prouve qu’il s’agit d’un Marsouin (infanterie coloniale à recrutement métropolitain).
Fort malheureusement, il ne portait pas sa plaque d’identité, très probablement ôtée par un camarade afin de la remettre ainsi que ses objets personnels au commandant de compagnie.
La présence de restants de guêtrons (petites guêtres en cuir) peut laisser supposer que ce poilu serait tombé lors de la violente attaque allemande du 3 février 1915 (4e et 8e RIC)
Les archéologues n’ont pas trouvé d’objets personnels.
MARS 2012 : découverte d'un soldat Français (fr 2)
A quelques mètres, un deuxième corps a été trouvé « tassé » dans un trou d’obus, peut-être dans celui qui l’a tué !
"La tombe était le trou d’obus où il avait roulé pour l’agonie et qui s’était refermé sur lui." (Paul Doncoeur, aumonier militaire, 1924)
Marsouin également, Il ne portait pas sa plaque d’identité mais avait encore son porte-monnaie et son couteau de poche.
Ces deux hommes portaient leur fourreau de baïonnette, ce qui indique qu’ils se trouvaient en phase d’attaque au moment de leur mort car les baïonnettes se trouvaient sur les fusils.
L’étude anthropologique des corps a précisé le jeune âge de ces deux anonymes ainsi que de nombreuses blessures sur les os (colonne vertébrale traversée, bassin…)
Le 4 avril 2013, une cérémonie à leur mémoire a eu lieu à la nécropole de Minaucourt où ils ont rejoints leurs 21330 frères d’armes dont 12000 « connus de Dieu seul » !
Sur la croix blanche, pas de nom mais la mention « RIC » pour Régiment d’Infanterie Coloniale (à recrutement métropolitain).
Mai 2012 : découverte du corps d’un soldat Français identifié (hors plan), Arthur Leguay
Début mai, sur le territoire de Massiges, en lisière du camp militaire de Suippes, des travaux d’aménagement du sol ont fait apparaître des os humains. Après les démarches réglementaires, le corps a été relevé par le service des sépultures de Metz.
A notre grande satisfaction, nous trouvons sa plaque d’identité.
Après avoir consulté sur internet le site mis en ligne par le ministère de la défense « mémoire des hommes », l’état civil détaillé de ce soldat s’affiche à l’écran :
Sous-lieutenant Arthur Charles Leguay
Né le 15 novembre 1878 au Mans
2ème Bataillon de Chasseurs à Pied
Disparu le 30 septembre 1915 à Ripont.
Puis nous trouvons son nom sur un site de généalogie.
Le contact est établi et nous apprenons qu’une de ses petites filles habite Paris.
Quelques heures après, une dame, bien surprise et émue, téléphone pour nous annoncer qu’elle viendra le dimanche suivant à la nécropole de Minaucourt se recueillir sur la tombe de son grand-père.
Ses objets personnels lui seront remis dont deux médailles retrouvées sur son corps envoyées le 5 août 1914 par sa sœur.
Une cérémonie aura lieu, Arthur Leguay a retrouvé sa famille.
Février 2013 : découverte d'un soldat Allemand (all 1)
Les restes d’un soldat allemand sont mis à jour lors du décapage de surface à la pelleteuse. Malheureusement celui-ci ne portait plus sa plaque d’identité.
Mars et Mai 2013 : découverte de 3 soldats Français (fr 3, 4 et 5)
Les restes d’un soldat français sont retrouvés lors des mêmes travaux, mais ils sont très bouleversés.
Aucune identification n’est possible.
D’ autres travaux de remise en état d’une tranchée mettent à jour le corps d’un 2e soldat français, très abîmé, aucun bouton d’uniforme, rien, sauf la plaque d’identité…mais totalement illisible.
Quelle déception !
Peu après, les restes d’un 3e soldat de l’Infanterie Coloniale seront eux aussi découverts.
Aucune identification n’est possible…
Une fois l’étude anthropologique des corps terminée, les corps ont été restitués au service des sépultures.
Une cérémonie à la mémoire de ces 3 jeunes soldats français a eu lieu le 7 février 2014 à la nécropole de Minaucourt.
Ils ont rejoint leurs 12000 frères d'arme " connus de Dieu seul ".
Juillet 2013 : découverte du corps du soldat soldat Français identifié (voir plan), Albert Dadure
Un nouveau corps a été découvert lors de travaux de remise en état d’une tranchée.
Il a été relevé par Yves Desfossés (conservateur régional de l’archéologie de Champagne-Ardenne et par Michel Signoli en photo (anthropologue et directeur de recherches au CNRS).
Les boutons de son uniforme ont permis d’identifier qu’il s’agit d’un soldat de l’Infanterie Coloniale.
Sa plaque d’identité, en très mauvais état, a fini par livrer ses secrets : il s’agit d’Albert Dadure, du 23e RIC.
Il a été tué le 7 février 1915 à l’âge de 21 ans.
Il ne portait plus sur lui d’objets personnels ou militaires, ce qui laisse à penser que le jeune soldat a été blessé par balle, puis déséquipé afin d’être soigné.
Il est mort sur place, là où il a été enterré, dans une petite fosse spécialement creusée sur le côté au fond de la tranchée, en première ligne.
Ces découvertes permettent parfois de révéler d’étonnantes marques d’attention, voire de camaraderie, pratiquées lors de l’inhumation de ceux qui ont partagé l’insoutenable fraternité de la guerre de 14.
Cette tranchée prise par les Allemands peu après, rendra impossible l’exhumation du corps jusqu’ à l’oubli de son emplacement.
Beaucoup d’émotion de le voir sortir de sa gangue de craie et de l’oubli.
Grâce aux recherches d’Eric Marchal, rapidement relayées par les médias, sa famille s’est manifestée.
Albert Dadure a désormais un visage, une histoire, bientôt une vraie sépulture.
99 ans après, jour pour jour, un ultime hommage lui a été rendu le 7 février 2014 à la nécropole militaire du Pont de Marson à Minaucourt.
La mémoire d’Albert Dadure continuera d’être portée par le vent grâce à ses lettres (en ligne dans Soldats de la Main, RIC).